Alors chacun est reparti dans le tourbillon de la vie…

Deux mondes. Deux identités que tout semble opposer. Deux conceptions de la vie incompatibles. George, une parisienne élégante et lettrée, rencontra dans sa prime jeunesse dans le Morbihan, Gauvin, un marin breton à l’apparence bourru et au parler franc. Cette relation très charnelle à la base était prédestinée à ne pas durer et puis, malgré la distance et leurs vies ailleurs, quelque chose d’inexplicable qu’on pourrait appeler amour va réunir ces deux-là de manière réguiière en l’espace de trente ans. Cette histoire c’est celle de Les vaisseaux du coeur, un roman autobiographioque de Benoîte Groult écrit en 1988. Josiane Pinson, comédienne,, metteuse en scène et autrice qu’on a pu admirer dans les formidables Psycause(s), prend le parti et le pari d’interpréter cette histoire d’union à priori impossible en la faisant fondre dans le corps et l’esprit de George. Elle va alors nous la raconter via le prisme de cette femme libre et courageuse qui traverse le temps et ses émotions comme on traverserait un océan avec ses tempêtes et ces moments de plénitude…

Sur le plateau, quelques éléments distincts vont permettre au spectateur de plonger dans l’histoire comme autant de balises ou de points d’amarrage : un machine à écrire, une chaise, un rideau d’image où des décors balnéaires, exotiques ou parisiens se succèdent comme des peintures mouvantes ou encore une jetée comme symbole d’un univers portuaire mais aussi comme une rampe de lancement vers l’inconnu et l’insondable. Josiane Pinson alias George va alors déambuler entre ses différents points et s’adresser à nous à coeur ouvert.

Et d’emblée, nous allons être littéralement happé par la folle destinée de cette femme grâce au jeu et la présence hypnotique de Josiane Pinson. Elle insuffle au personnage élégance, douceur et profondeur à la fois ; elle l’habite son âme de tendresse et de détermination. Tout en assumant frontalement ses désirs sexuels, charnels, crus, elle parvient aussi à les habiller de pudeur avec beaucoup d’émotion et d’empathie à l’encontre de son Gauvin. Et de temps à autre, la voix de ce dernier surgit pour nous faire revivre des moments doux ou tendus, de scènes émouvantes ou éprouvantes où tous les deux se cherchent, se trouvent, se perdent pour mieux se retrouver…

Et la grande force de ce spectacle est de ne jamais tomber dans le cliché forcé de l’intellectuelle parisienne et du marin breton. Tout est dans le subtilités, dans les interstices de leur relation. On croit en cet amour tour à tour bestial et éternellement adolescent parce l’actrice vit chaque instant, chaque seconde comme un bouleversement intérieur. Elle dépeint si justement ce chemin qui la mène vers l’amour profond, le vrai, qu’il est pour nous plus que secondaire qu’ils soient mariés de leur côté. Les moments de vie, de joie, de partage sont rendus si intensément sur scène qu’ils amplifient l’arrachement que peut provoquer leurs multiples séparations.

La mise en scène de Panchika Velez comme une chorégraphie de mouvements justes donne à Josiane Pinson la possibilité de s’envoler dans cette histoire et d’être constamment vivante, virevoltante, ancrée, généreuse dans son jeu. Tout en respectant le texte de Benoite Groult avec une humanité dans la voix, elle réussit à se dévoiler pour nous laisser pénétrer les méandres du désir féminin…

Il ne vous reste plus qu’à plonger aveuglément dans les profondeurs de cette histoire si touchante, à marée haute ou à marée basse qu’importe :  le résultat est orgasmique ! À ne surtout pas manquer.

Marée haute
d’après Les vaisseaux du coeur de Benoîte Groult
Adaptation  et jeu : Josiane Pinson
Mise en scène  : Panchika Velez / Scénographie : Jean-Michel Adam / Création sonore : Stéphane Corbin / Création lumière : Florent Barnaud / Voix:  Didier Brice
Du 15 mars au 7 mai 2023
Du mardi au samedi  à  21H / dimanche à 17H30
Bande-annonce Marée haute

Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris
Métro : Notre-Dame-des-Champs (ligne 12
Réservation ou au 01 45 44 57 34

© Karine Letellier