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TABOU

Le viol ou la nécessité d’en parler

3 mai 1978. Cour d’assisses d’Aix en Provence, une femme, avocate, Gisèle Halimi, défend le cas de deux jeunes filles violées à plusieurs reprises par trois hommes. Un procès qui déchaina les foules et vit les femmes et les féministes attaquées de front comme dans un journal qui a écrit : « Sont terroristes les femmes ouvertement ou secrètement féministes.»… Affligeant ! 

Mais ce fut quand même un procès qui permit de faire prendre conscience de ce véritable fléau qu’est le viol grâce à la plaidoirie extraordinaire de Gisèle Halimi. Deux ans plus tard, une loi reconnait enfin le viol comme crime. Seulement voilà, chaque année, en France, de nos jours, 85000 femmes se déclarent victimes de viol ou de tentatives de viol. Le fléau sévit encore et toujours…

Laurence Février, première femme interprète et metteur en scène récompensée par le prix Adami 2015, décide alors de prendre ce sujet très délicat à bras le corps par le prisme de ce théâtre qu’elle affectionne particulièrement, le théâtre documentaire. En s’appuyant sur des témoignages réels et sur les cinq types de viol définis dans un ouvrage fondamental « Le viol, aspects sociologiques d’un crime » de Véronique Le Goaziou et Maryse Gaspard, c’est à dire le viol familial, le viol conjugal, le viol collectif, le viol de faible connaissance et le viol de proximité, la metteure en scène va amener cette question ô combien tabou au théâtre et de la manière la plus pertinente qui soit.

Sur le plateau, cinq actrices vont représenter chacune à leur tour les victimes de ces cinq types de viol mais, et c’est là la grandie ingéniosité de cette mise en scène, elles deviendront également les interrogateurs de ces victimes incarnant soit un avocat, un juge ou un policier… Les interrogatoires concernent à chaque fois un cas particulier mais révèlent un point commun essentiel : celui d’un harcèlement moral qui pousse la victime dans ses retranchements jusqu’à douter des faits ou en venir presque à s’excuser…

Laurence Février et ses actrices pointent alors du doigt un mécanisme redoutable dont le rouages fonctionnent étrangement, celui des instances publiques censées représenter la loi et la justice. Il faut savoir que seules 11% des femmes portent plainte après une agression, c’est peu car il faut franchir des étapes, pousser la porte du commissariat puis celle du palais de justice et des tribunaux. Un parcours de combattantes qui est formidablement démontrée dans Tabou où la victime devient l’accusée (comme dans le procès de Kafka), condamnée à devoir se justifier et à prouver son innocence. Un retournement aberrant de la situation.

Les cinq actrices sur la scène, Véronique Ataly, Mia Delmaë, Françoise Huguet, Carine Piazzi et Anne-Lise Sabouret sont incroyables de justesse et de vérité. Elles parviennent, lorsqu’elles sont les victimes, par un jeu délicat, à faire surgir l’émotion au bon endroit pour nous serrer le coeur et nous bousculer dans nos aprioris. Et elles réussissent également à mettre en exergue toute la verve insidieuse des autorités publiques lorsqu’elle sont les interrogateurs. Les paroles récoltées de personnes ou de situations réelles résonnent avec une évidente vérité sur le plateau.

Dans une mise en scène fluide et claire, elles se passent le relais de ces récits poignants qui ne peuvent que nous bouleverser. Et lorsqu‘on se dit qu’il y a peu d’espoir face à ce système rouillé qui peine encore à traiter la question du viol comme il le devrait, apparait une sixième femme, Laurence Février elle-même, qui en se réappropriant la plaidoyer de Gisèle Halimi, nous émeut au plus haut point en démontrant l’atrocité du viol, la nécessité d’entendre la parole précieuse des femmes qui le subissent et les failles de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas les écouter. Cela nous bouscule indubitablement et on sort du spectacle avec la volonté et l’envie que les choses changent vite.

Lorsqu’on sait qu’en plus de jouer le spectacle, la metteure en scène et ses actrices ont multiplié les débats avec tous les pans de la société concernés (comme au Lucernaire après chaque représentation cet automne),  qu’elles sont allées dans les lycées et continuent à intervenir auprès des jeunes pour les sensibiliser à la question du viol, on ne peut que saluer ce travail absolument nécessaire, courageux et acharné que mène Laurence Février avec sa compagnie Chimène.

Tabou est une leçon magistrale pour ne jamais oublier ce qu’est le viol des femmes et ses conséquences. Il est de notre devoir non seulement d’aller voir ce magnifique spectacle mais de participer à notre manière à l’évolution positive des moeurs et des mentalités sur ce sujet malheureusement encore… tabou.

Tabou
De Laurence Février avec la avec la plaidoirie de Gisèle Halimi à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence le 3 mai 1978
Mise en scène : Laurence Février
Avec : Véronique Ataly, Mia Delmaë, Laurence Février, Françoise Huguet, Carine Piazzi et Anne-Lise Sabouret /  Lumières : Jean-Yves Courcoux / Illustration sonore et scénographie : Brigitte Dujardin
Du 15 au 18 mars à 15h et du 23 au 26 mars 2016 à 20h30

Théâtre de l’Opprimé
78, rue du Charolais Paris 12ème
Métro : 
Reuilly-Diderot (Ligne 1) ou Montgallet (Ligne 8)
Réservations : 01 43 45 81 20 ou surwww.theatredelopprime.com
© Margot Simmoney

 

  

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