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PHÈDRE(S)

Désir(s)…

Phèdre. Warlikowski. Huppert. Mouawad. Kane. Coeztze. Rien qu’à l’évocation de tous ces noms, on se dit que les dieux du théâtre ont jeté leur dévolu sur la scène de l’Odéon pour convoquer la fine fleur de la création contemporaine et la confronter au mythe ancestral de Phèdre et de son funeste destin. 

C’est bien la multiplicité des Phèdre que questionne la nouvelle création de Krzysztof Warlikowski à travers la vision de ses contemporains dramaturges ou comment représenter le désir qui brûle et consume Phèdre comme un soleil ardent et le rendre universel et intemporel comme un écho venu de la nuit des temps.
Et pour incarner de manière omniprésente ces Phèdre(s) de texte en texte et de tableau en tableau, quoi de plus naturel que de choisir l’une des actrices qui sait le mieux faire vide en elle pour se laisser pénétrer par ses personnages : Isabelle Huppert. Et il ne fait pas de doute que c’est elle qui par une incarnation juste et hypnotisante va nous amener comme par enchantement dans l’univers de chaque auteur choisi par Warlikowski.

Comme à son habitude, ce dernier nous plonge dans une mise en scène-performance plus proche de l’art abstrait que de la logique d’un récit théâtral. Sur un immense plateau aux murs lointains, le spectacle commence par un magnifique poème arabe chanté par l’Oenone de Wajdi Mouawad, mélopée rock et sensuelle qui nous fait glisser vers Aphrodite, succinctement évoquée par Huppert, pour en arriver à une Phèdre blonde. L’auteur libano-canadien fait alors se tirailler cette Phèdre en chair entre Euripide qui l’éloigne d’Hippolyte et Sénèque qui la jette dans ses bras. Et par l’utilisation de la vidéo et de caméras qui filment les acteurs par-dessus ou sur les côtés, on entre réellement dans l’intimité des situations comme des témoins voyeurs de l’acte incestueux entre la reine et son beau-fils,  jeune, dans ce tableau…

Chez Sarah Kane, Phèdre prend un tout autre visage, Huppert se métamorphose, rousse cette fois-ci pour l’ancrer dans la « Réalité » (chaque tableau se décline). En effet ici, tout est plus palpable, plus concret : Hippolyte 2, plus vieux et en rondeur, déprime devant son téléviseur tout en se masturbant ! Phèdre tente de le protéger comme une belle-mère amoureuse d’un éternel adolescent perdu. Le texte de Kane, « L’amour de Phèdre » (créée il y a déjà 20 ans), est cru mais authentique et Warlikowski placent les acteurs dans une prison de verre cubique où les personnages se laissent disséquer comme des insectes pris au piège. Très réussi.

Enfin le spectacle va se conclure avec une conférence très surprenante qui tranche délibérément avec le reste, Huppert en brune devient Elisabeth Costello, le personnage fictif de John Maxwell Coetzee, et Phèdre devient son double en arrière plan. La scène est surréaliste car plutôt drôle (ce qui était loin d’être le cas jusqu’ici !) et questionne le désir et les dieux. Les vers de Racine s’invitent à la toute fin comme pour revenir au commencement.

ll est difficile de définir rationnellement ce spectacle qui se vit comme un voyage, une traversée presque onirique des figures et des entrailles de Phèdre. Ce qui est certain c’est qu’Isabelle Huppert est magistrale, habitée, profonde et légère à la fois. Elle se déshabille littéralement devant nous et passe de la joie à la douleur, de l’espoir à la fatalité avec une adresse déconcertante. Elle brille et se consume comme un feu incandescent et lorsqu’elle crie qu’elle aime Hippolyte, on en tremble de tout son corps. Elle est Phèdre, voilà tout.   

Phèdre(s)
de Wajdi Mouawad / Sarah Kane / J.M. Coetzee
Mise en scène et adaptation  : Krzysztof Warlikowski
Avec : Agata Buzek, Andrzej Chyra, Alex Descas, Gaël Kamilindi, Norah Krief, Rosalba Torres Guerrero / Dramaturgie : Piotr Gruszczyński / Décor et costumes : Małgorzata Szczęśniak / 
Musique originale : Paweł Mykietyn / Lumière : Felice Ross / Vidéo : Denis Guéguin / Chorégraphie : Claude Bardouil / Maquillage, coiffures, perruques : Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo / Son : Thierry Jousse
Jusqu’au 13 mai 2016
Du mardi au samedi à 20h / Le dimanche à 15h

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, Paris 6ème
Métro : Odéon (ligne 4) ou Luxembourg (RER B)
Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu
© Pascal Victor

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