Si vous n’avez jamais entendu parler d’Électre des bas-fonds de Simon Abkarian c’est que ne vous n’avez pas suivi la cérémonie des Molières de 2020, une cérémonie au goût étrange de la période ultra covidée où seuls les nommés étaient dans la salle ; ce soir-là ce spectacle a reçu le Molière du Théâtre public. Si vous n’avez jamais entendu parler de Simon Abkarian c’est que vous n’avez toujours pas suivi cette même cérémonie puisqu’il reçut aussi les Molières de l’auteur francophone vivant et celui de la mise en scène d’un spectacle de Théâtre public. Ou que vous ne l’avez jamais vu dans les nombreux films et séries où il excelle depuis des décennies après avoir été un enfant du Soleil chez Ariane Mnouchkine où il revient redonner cette salve de représentations. Il y joua les Atrides dans les années 90 ; il semblait tout naturel qu’il revint comme un écho prendre place dans ce théâtre mythique…
Électre des bas-fonds c’est une fable jouée, dansée, musicale qui conte la destinée d’une soeur et d’un frère : Électre et Oreste. Électre, au commencement de la pièce, est une sorte de Cendrillon de lupanar au caractère bien trempée et mariée à un pauvre homme. Après la mort brutale de son illustre père, le roi Agamemnon, elle a dû fuir le palais, bannie par sa mère Clytemnestre et la voilà petite chose au milieu des prostituées et remplie d’une colère noire qui s’appelle la vengeance. Son frère Oreste, sous les habits d’une femme, parvient aussi à s’échapper mais ils furent séparés ; il jure alors de retrouver sa soeur et de faire justice lorsque l’heure viendra. Le décor est planté, les protagonistes sont prêts, le but est annoncé ; le spectacle peut alors éclater !
Et le spectacle effectivement éclate et durant deux heures il va nous éblouir de ses mille éclats. La première danse accompagnée de musiciens fabuleux (Les Hawlins Jaws) va donner le la à cette tragédie musicale complète conçue comme une partition avec ses notes puissantes. Oreste et ses danseuses sacrées entre en transe et c’est stupéfiant. Les éléments finement orchestrés du spectacle vont se déchaîner pour nous offrir une épopée vertigineuse.
Déjà dans ce superbe décor de portes peintes, de ponts et de passages aux lumières écarlates, les acteurs-danseurs-chanteurs s’en donnent à coeur joie et par un jeu musclé et virevoltant ils incarnent charnellement leurs personnages sans jamais tomber dans le piège de trop longues litanies… Il faut dire que la mise en scène tambour battant de Simon Abkarian les y aide et que son texte puissant, très limpide, moderne tout respectant les codes de la tragédie grecque permet aussi de ne jamais décrocher de l’histoire qui nous attrape et ne nous lâche plus. Des scènes savoureuses naissent alors sous nos yeux comme celles des prostituées du lupanar et du palais qui constituent une bonne partie de la partition. Elles sont exquises, drôles, insolentes, tourbillonnantes et injectent au spectacle une dose de légèreté et de comédie musicale qui fait parfois basculer la pièce du côté de la tragi-comédie…
La dimension tragique quant à elle est magnifiquement portée par Électre : Aurore Frémont l’incarne avec une grand justesse, à la fois forte et fragile ; Eliot Maurel campe avec délicatesse un Oreste qui fait éclore sa part de féminité plutôt qu’une virilité présupposée. Mais la plus tragédienne de tous à n’en pas douter c’est Clytemnestre et l’interprétation sublime de Catherine Schaub Abkarian. Lorsqu’elle se confie à son fils venu l’assassiner, on boit littéralement ses paroles. En tentant de le convaincre, elle nous convainc nous, le public, du bien-fondé de ses funestes actions. Son monologue transperce le coeur et arrache les larmes alors que quelques scènes plus tôt, nous la haïssions. Il y a chez elle l’écho d’une Maria Casares ou d’une Jeanne Moreau déclamant dans la cour d’honneur…
Si vous ajoutez à la musique, aux chants entrainants, aux danses ensorcelantes, aux lumières scintillantes, à la mise en scène échevelée, au texte poétique, de beaux costumes et maquillages ; vous obtiendrez Électre des bas-fonds qui résonne furieusement en ces temps de guerre, de lutte des femmes pour leur dignité, en ces temps d’abus de pouvoir… Du grand théâtre signé Simon Abkarian. C’est au Soleil même l’été… À ne surtout pas manquer !
Électre des bas-fonds
Texte et mise en scène : Simon Abkarian
Avec : Djivan Abkarian, Maral Abkarian, Simon Abkarian, Chouchane Agoudjian, Anaïs Ancel, Chloé Astor, Maud Brethenoux, Laurent Clauwaert, Victor Fradet, Aurore Frémont, Christina Galastian Agoudjian, Lucas Humbert, Rafaela Jirkovsky, Nathalie Le Boucher, Baptiste Léon, Olivier Mansard, Eliot Maurel, Nedjma Merahi, Manon Pélissier, Annie Rumani, Catherine Schaub-Abkarian, Suzana Thomaz, Frédérique Voruz
Musique écrite et jouée par le trio des Howlin’ Jaws / Dramaturgie : Pierre Ziadé / Collaboration artistique : Arman Saribekyan
Création lumière : Jean-Michel Bauer et Geoffroy Adragna / Création musicale : Howlin’ Jaws : Contrebasse chant : Djivan Abkarian, guitare chœurs : Lucas Humbert, batterie chœurs : Baptiste Léon / Création collective des costumes sous le regard de Catherine Schaub Abkarian / Création décor : Simon Abkarian et Philippe Jasko / Chorégraphies : la troupe
Compagnie des 5 roues-Simon Abkarian
Jusqu’au 15 juillet 2022
Du mercredi au vendredi à 19h30 / le samedi et le dimanche à 15h30
Théâtre du Soleil
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre Paris 12ème
Métro : Ligne 1 (Château de Vincennes) puis prendre bus 112, (arrêt Cartoucherie) ou la navette Cartoucherie
Réservations : 01 43 74 24 08 (individuels) / 01 43 74 88 50 (collectivités) www.theatre-du-soleil.fr
Copyright Photo : Frédéric Ferranti