Copyright : AKO_Audrey Knafo Ohnona

CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL / REPRISE

Au bout du matin…

Cahier d’un retour au pays natal est tout simplement l’un des plus grands chefs-d’oeuvre de l’écrivain et poète Aimé Césaire. Il fait paraître la première version en 1939 à l’âge de 26 ans sur son île natale, la Martinique. 4 ans auparavant, il devient aux côtés de ses amis Léopold Sédar Senghor ou encore Léon-Gontran Damas, l’un des « inventeurs » de la Négritude. Il continuera à nourrir ce magnifique poème durant presque une décennie, dans un contexte où les empires coloniaux comme la France domine le monde et où la notion d’inégalité des races va produire entre autres les puanteurs du IIIème Reich et montrer le visage d’une Amérique raciste et ségrégationniste à l’encontre de la communauté noire… Cahier d’un retour au pays natal devient alors une arme pacifique et nécessaire pour tenter de redonner de la dignité aux peuples noirs, prendre la défense des laissés pour compte, des bannis de la société, des mis aux bancs de l’existence ; leur donner l’espoir de se tenir debout et de marcher la tête haute vers un destin plus clément. Au delà de l’homme noir, c’est de l’humain dont il est question, Aimé Césaire part de ce qu’il connait le mieux, de ses racines, de son histoire pour tendre vers un humanisme universel. Son poème est d’une langue si belle, si poignante, si profonde qu’il faut une incarnation à la hauteur pour nous le faire vivre sur un plateau…

Et Jacques Martial va faire plus que d’être à la hauteur : lorsqu’il parait, traversant un immense rideau transparent tacheté de peintures multicolores et qui limite le fond de scène, on oublie déjà l’acteur pour ne voir qu’un être esseulé portant péniblement sacs et cabas ; le dos voûté et le regard perdu. Avant même qu’un seul mot ne soit prononcé, il zigzague entre des tas de tissus et de papiers pour tenter de trouver une place ou plutôt sa place. Puis les mots fusent et ne se tariront quasiment plus ; la subtile et sublime poésie de Césaire va prendre corps par la puissance de jeu de Jacques Martial. Dès ces premières minutes, le texte surgit avec la force herculéenne que peut donner un homme désespéré ; l’acteur muscle les mots et nous les fait parvenir comme autant de coup de poings qui percutent…  Et les coups de poings deviennent parfois des lames affutées comme l’écriture ciselée de Césaire avant de disparaitre dans la douceur d’un homme-poète amoureux de son île et voulant rejoindre ses pareils… « Embrasse-moi, pays natal » semble t-il répéter comme un leitmotiv pour exorciser son sort et se couvrir peu à peu de dignité.

L’acteur réussit à merveille à faire porter tout le poids qui pèse sur l’homme noir en allant chercher dans ses entrailles les douleurs et les joies mais aussi en s’adressant au spectateur pour le rendre témoin de son périple existentiel. En plus de dire la poésie avec un immense talent d’orateur, il joue de son corps massif pour faire progressivement redresser tout son être vouté et lui faire affronter la vie comme il se devrait, humainement… L’homme noir qu’on a voulu brûler renait de ses cendres et il n’apprend plus à marcher, il court. Que dire de plus ? Que Jacques Martial est tout bonnement magistral par sa présence et son incarnation, que nous vibrons au rythme de ses incantations et qu’il nous fait non seulement entendre la beauté et la nécessité de cette litanie Césairienne mais nous fait aussi percevoir toute la genèse de l’homme noir opprimé qui est bel et bien là, ressuscité. Et dans son ombre, tous les opprimés de la terre qui hurlent avec lui ; tous les êtres multicolores emprunts d’humanité. C’est superbe. À voir de toute urgence.

Cahier d’un retour au pays natal
de Aimé Césaire
Mise en scène : Jacques Martial
Avec : Jacques Martial
Régisseurs : Jean-Marc Feniou / Scénographie / Pierre Attrait / Création lumière : Jean-Claude Myrtil
En coproduction avec L’ARTCHIPEL Scène Nationale de la Guadeloupe et le Festival Ten Days on the Island, Hobart, Australie
La Compagnie de la comédie noire
lacompagniedelacomedienoire@hotmail.com

Du 29 septembre au 16 octobre 2022
Du jeudi au samedi à 19h
Samedi et dimanche à 14h30

THÉÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre Paris 12ème
Métro : Château de Vincennes (ligne 1) puis bus 112
Réservations  : www.epeedebois.com ou billeterie@epeedebois.com
Renseignements : 01 48 08 39 74

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