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BÉRÉNICE / FRAGMENTS

La passion décorsetée

Après voir mis en lumière Voltaire et son esprit de tolérance dans Je suis Voltaire…, la Chimène compagnie et sa metteure en scène emblématique, Laurence Février, s’attaquent à un immense classique du répertoire français, Bérénice de Jean Racine. Un rêve, un désir que caresse Laurence Février depuis un moment…

Mais alors comment représenter aujourd’hui cette histoire de passion dévorante ? Comment montrer autrement que le roi de Commagène, Antiochus, aime Bérénice, reine de Palestine, qui aime TItus, l’empereur de Rome qui finira par la répudier pour raison d’Etat malgré la passion qui les unit ? Comment sortir du « déjà vu », éviter les pièges de la tragédie trop conformiste et faire apparaître aux yeux du spectateur le génie de Racine qui reste, sans aucun doute, l’auteur qui déshabille l’âme humaine mieux que n’importe quel autre ?

Et bien la réponse ne tarde pas à venir et avec quelle magnificence ! D’abord par un parti pris qui brise les conventions : trois femmes, trois actrices s’emparent des rôles principaux sans distinction de sexe. Le pari étant ici de mettre en exergue les émotions et les sensibilités des personnages « à la nature biologique commune ». En d’autres termes, le sexe s’efface pour laisser place au sentiment.

Et le pari est largement réussi : Véronique Gallet (Antiochus), Laurence Février (Bérénice) et Catherine Le Hénan (Titus) parviennent à capturer l’essence de la passion amoureuse et les sens de cette tragédie de la renonciation sans qu’à aucun moment ne se pose la question du genre. Bien ancrées dans le sol, terriennes, tout en brûlant de ce feu intérieur, feu incandescent de la passion, elles irradient le plateau de leurs seules présences.

Et puis il y a cet écrin, la magnifique salle en bois, qui avec ses possibilités, offre un palais de rêve et semble taillée sur mesure à la mise en scène et à la scénographie qui vont pouvoir s’y déployer. Nul besoin de décor…  Avant de pénétrer dans l’arène, les âmes errent et se cherchent. Puis, par un cérémonial tout en délicatesse, chaque actrice se fait vêtir d’une magnifique robe rouge passion aux manches longues et aux influences nippones avant d’être lâchée dans le feu de l’action. C’est très beau. On pense au bunraku ou au théâtre Nô, au film Dolls de Takeshi Kitano ou encore à Tambours sur la digue du théâtre voisin mais très vite ces références s’effacent pour laisser place à la forte proposition de Laurence Février.

Car ici tout semble apprivoisé, l’espace comme le temps ; les fragments de Bérénice, à travers les actrices, s’éclatent dans une scénographie parfaitement maîtrisée et à géométrie variable : des diagonales se dessinent, les murs sont frôlés ou repoussés, le sol exerce un pouvoir d’attraction et fait chuter les corps… Et cette scénographie d’une beauté renversante est sublimée par les lumières chaudes et ciselées de Jean-Yves Courcoux qui dessinent les contours de ce palais-labyrinthe où les personnages se poursuivent.

Dès lors, dans cet univers suspendu, les voix des confidents peuvent surgir comme des voix de sirènes qui tenteraient de raisonner l’irraisonnable, les soupirs et les reproches peuvent se chuchoter à l’oreille ou se projeter d’un bout à l’autre de l’espace ; les corps se caressent à peine ou s’agglomèrent un instant comme les atomes brûlants d’une fin déjà tout tracée. On imagine ces personnages prisonniers de ce palais à jamais et prêt à recommencer à l’infini leur chorégraphie tragique.

L’alchimie opère complètement et, comme souvent, Laurence Février nous embarque avec une proposition forte et assumée qu’elle emmène jusqu’au bout. Par cette magnifique mise en scène, elle décorsète la passion et dépoussière Bérénice. À voir absolument.

Bérénice
De Jean Racine
Chimène compagnie théâtrale
Mise en scène : Laurence Février
Avec : Laurence Février (Bérénice), Véronique Gallet (Antiochus), Catherine Le Hénan (Titus) / Dramaturgie, environnement sonore, visuel : Brigitte Dujardin / Lumières : Jean-Yves Courcoux / Costumes : Charlotte Villermet
Du 14 janvier au 27 février 2019
Lundi, mardi, et mercredi à 20h30
www. chimenecompagnie.com

THÉÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS
Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre Paris 12ème
Métro : Château de Vincennes (ligne 1) puis bus 112
Réservations  : www.epeedebois.com ou billeterie@epeedebois.com
Renseignements : 01 48 08 39 74

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