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LABOURER

Les 22 novembre dernier avait lieu à l’Atelier de Paris (CDNC) la première représentation de la pièce chorégraphique Labourer de Madeleine Fournier avec la collaboration musicale de Clément Vercelletto. Interprète de plusieurs chorégraphes et artistes visuels (dont Odile Duboc, Emmanuelle Huynh, Fanny de Chaillé, Loïc Touzé pour n’en citer que quelques-uns…) Madeleine Fournier signe avec Labourer sa première pièce seule et en solo. 

La pièce questionne le labour comme acte « d’ouvrir la terre, la retourner, ouvrir des sillons avant l’ensemencement » mais se déploie avec ludisme comme une exploration du champ sémantique et chorégraphique de son titre : Labourer fait écho au travail de la terre et au corps mis au labeur, mais aussi à « la bourrée » paysanne, et par glissements et déconstructions successives, à l’ensemencement, à l’éclosion et l’enfantement. Au fur et à mesure, la pièce multiplie les liens entre «nature et culture» au point de rendre inopérante la dichotomie, comme balayée par un même souffle organique, pourtant rigoureusement structuré et construit… Quoi qu’il en soit, on a l’impression, tout au long de la pièce, d’assister à l’éclosion d’une artiste à l’esthétique singulière – drôle et assumée – et nourrie d’une réflexion d’une grande sensibilité.

Se rendre à la première d’un spectacle d’un.e inconnu.e est toujours un pari que l’on est prêt à perdre. La découverte du travail de Madeleine Fournier, dans toute sa singularité est une forme de victoire sur le quotidien, l’utilitaire, le commun. Cette pièce magnifiquement structurée ne se laisse pas apprivoiser au premier coup d’œil. C’est une plongée qui s’organise peu à peu, à mesure que les séquences s’enchaînent, à mesure qu’elle retourne aussi bien cette terre que nos sens. Les superpositions d’images (sonores ou visuelles), les décalages,  les déformations de structures classiques, aussi bien dans la musique que dans la danse, la présence simple et hypnotique de Madeleine Fournier – tissent peu à peu la pièce et laissent affleurer une pensée riche, sensible et fertile.
Sur le plateau, la danseuse attend, assise, que le public s’installe. Tenue sobre, un détail se démarque: des gants rouges qui répondent à ses joues et ses lèvres rougies. Des pièces de batterie sont disposées de part et d’autre du plateau. Un rideau bleu et une toile blanche délimitent le fond d’un espace blanc au sol.
Une première musique : une pièce chantée baroque. La danseuse lui superpose un râle long, bien trop long, venu de loin, puis un autre, et encore un autre, en dissonance. Ici, il ne faut pas avoir froid aux yeux. Peut-être certains resteront au bord de la route.
Le silence se fait, la danseuse fait un pas, puis un autre. Les percussions, sans musicien visible, se mettent à tonner en accompagnant ses pas. Puis la structure rythmique se complexifie. On hésite entre une ambiance pop radicalement contemporaine ou des rythmiques traditionnelles (assiste-t-on à un bal populaire ? à une samba ? des notes au synthé font hésiter avec de la disco…) et pour la danse, elle est tantôt faite de menuet et de bourrées paysannes, tantôt de danses sorties d’un night-club dans un va-et-vient imperceptible.
Il y a aussi ces mains rouges, détail chic qui ouvrira l’imaginaire d’une pénibilité du travail ou du sang au moment de l’enfantement…
Noir. En 16mm, sont projetés des films d’archive de l’institut Pasteur sur la croissance des végétaux réalisés grâce à un time-lapse d’époque. Les percussions qui accompagnaient plus tôt la danseuse n’ont pas cessé de jouer, et c’est bien à un ballet végétal que l’on assiste. Des liens multiples entre toutes les séquences, les végétaux, les sons (enrichis de clochettes) et la danse se tissent imperceptiblement à même nos sens. La danseuse qui s’est changée à vue pendant la projection revient. Son corps – ou bien est-ce notre regard ? – est habité par les images qui ont précédé… Elle devient terre fertile, végétal en croissance comme le laisserait deviner un danseur de buto. Mais la voilà déjà ailleurs, déployée dans un chant traditionnel qui accompagne une danse somptueuse qu’exécutent ses bras et ses mains gantées.
Finalement, elle nous embarque dans la spirale d’une transe, où cercles, cycles, enfantements renouvelés, répondent au passage du temps, renouvellent les structures, permettent l’éclosion du vivant. Comme une plongée dans la morphogénèse où l’on verrait la source commune de tout ce qui nous entoure… « la mécanique, la croissance des végétaux, les cycles, la répétition, le continu et le discontinu sont autant de mouvements, à la fois rythmiques et organiques, humains et non humains qui troublent la distinction supposée fondamentale entre nature et culture. »
Le noir se fait. Il semblerait qu’il se soit passé quelque chose d’important. Que des millénaires ont été compressés, que le savant et le paysan se sont accordés, que la danse a épousé la vie des femmes et de la nature dans ses recoins les plus intimes, et que le chant du vivant nous a éclaboussés dans une forme pourtant bien contemporaine, à l’esthétique soignée, un peu radicale et totalement assumée. Comme l’éclosion d’un travail qu’il nous tarde de voir grandir!

Labourer de et par Madeleine Fournier
Dispositif sonore: Clément Vercelletto

Lumières: Pierre Bougié

22 et 23 Janvier 2019:  Trajectoires du TU  Nantes-Festival Trajectoire(s)
26 janvier 2019 : Festival Vivat la danse. Armantières
5 avril 2019:  Festival LEGS de la Raffinerie Charleroi Danse .

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