Les morts ne sont pas morts…
Nous sommes en France à la veille (dix jours avant) de l’élection présidentielle mais dans une France qui n’existe pas encore, une France qui a subi les ravages d’une Grande Catastrophe (qu’on imagine climatique). Paul Chazelle, le candidat du parti conservateur libéral Horizon, a établi son QG dans les locaux du Musée de l’Homme. Moïra Chevalier, jeune réalisatrice à qui on a confié la mission de filmer les coulisses de la campagne, nous relate comment la situation dans ce QG va peu à peu virer au cauchemar.

Que ce soit dit d’emblée, « Roman(s) national » est tout simplement magistral. Deux heures vingt de pure délectation à voir un spectacle maîtrisé de bout en bout. Que ce soit d’un point de vue de la fable, de l’écriture, de la direction d’acteurs (quelle formidable troupe d’acteurs !) de la scénographie, des lumières ou de la bande-son, tout est formidablement réussi ! Et c’est peu dire.
En racontant une histoire se passant dans un futur plus ou moins proche, Julie Bertin et Jade Herbulot (autrices et metteuses en scène) font ce pas de côté qui permet d’aborder par la fiction un sujet éminemment actuel et politique : le passé colonial de la France. L’histoire, celle qu’on nous apprend à l’école et qui constitue le socle de notre société, de notre unité nationale, n’est relatée que par les vainqueurs. L’histoire des  vaincus, elle, est passée sous silence. Comment une société peut-elle donc se construire quand une partie de sa mémoire (et donc de son identité) lui a été confisquée? A l’image d’un bras ou d’une jambe amputés, les symptômes du membre fantôme se font ressentir : on a mal à un endroit où, en apparence, rien ne subsiste. On ne comprend pas pourquoi. Ce pan de l’histoire française laisse en suspens de grandes et importantes questions qui se diffusent dans l’inconscient collectif. Comme un traumatisme non-identifié, il se transmet de génération en génération laissant à chacune d’elles une mémoire trouée et un mal qui empire.  Paul Chazelle, incarne la République de par sa future fonction. Les 18 000 crânes d’hommes et de femmes ramenés en France de Nouvelle Calédonie dans le cadre des premières études d’anthropologie visant à prouver la suprématie de la race blanche, consignés depuis le 19^ème siècle dans les sous-sol du Musée de l’Homme, symbolisent à eux seuls toute l’histoire du colonialisme et sa violence inouïe. Les morts ne sont pas morts. Ils hantent les couloirs de l’Institution, de nos vies sans que nous le sachions. Paul Chazelle en fera les frais. Alors qu’il s’apprête à devenir président de la République, les morts viennent le hanter et font ressurgir la mémoire ensevelie d’un passé (peu) glorieux.
Quel meilleur endroit qu’une scène de théâtre, lieu de convocation des morts, de l’invisible, pour leur donner la parole ? A l’image du spectre dans Hamlet, ces fantômes viennent interroger le présent et demandent des comptes. Contrairement à Hamlet, Paul Chazelle ne doute pas. Il ne cherche pas la vérité. Il continue obstinément sa route, se confrontant à la colère des fantômes. C’est alors que tout son projet politique vacille, jusqu’à sa destruction. C’est au regard de cette fable que le Birgit Ensemble nous invite à reconsidérer l’Histoire, à changer notre point de vue, à trouver les pièces manquantes du puzzle et à reconstituer -nous pourrions dire « réparer »- les récits afin que nous puissions enfin tenir debout et marcher ensemble.
C’est beau et très fort. C’est rare et précieux. Il faut voir « Roman(s) national » !

ROMAN(S) NATIONAL
Conception, texte et mise en scène : Julie Bertin et Jade Herbulot, Le Birgit Ensemble
Avec : Eléonore Arnaud, Pauline Deshons, Pierre Duprat, Antonin Fadinard, Anna Fournier, Lazare Herson-Macarel, Morgane Noiraud, Loïc Riewer, Marie Sambourg.
Scénographie : James Brandily
Lumière : Jérémie Papin
Costumes : Camille Aït-Allouache
Son : Lucas Lelièvre
Vidéo : Pierre Nouvel
Crédit photo: Simon Gosselin

Du 9 au 27 mars 2022
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h

THÉÂTRE DE LA TEMPÊTE
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvres
75012 Paris 
Réservations: 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr