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LA FEMME N’EXISTE PAS

De la bombe!

Points de départ : le 1er Juillet 1946, une bombe atomique est lâchée sur l’atoll de Bikini. Une semaine plus tard, un petit commerçant de lingerie fine invente le Bikini en lançant le slogan : « Bikini, première bombe anatomique ». En 1750, Marivaux écrit La Colonie, une comédie dans laquelle les protagonistes se retrouvent sur une île perdue. Dans cette pièce, les personnages doivent se réorganiser, mettre en place des instances de décisions, un gouvernement, bref réinventer une société. Occasion rêvée pour eux et surtout pour elles de redistribuer les cartes et de remettre en question les enjeux de pouvoir et de domination. Les femmes de cette fable décident de prendre le pouvoir et de revendiquer leurs droits. Ce sera –entre autres choses- à coup de bombes de peinture, cette fois.

En mettant en résonnance et en faisant s’entrecroiser ces événements et ce texte, Barbara Métais–Chastanier et Keti Irubetagoyena laissent entrevoir ce qui constituerait la plus grande révolution humaine, celle qui telle une bombe H, dévasterait tout : l’égalité de droits entre les hommes et les femmes ; la suppression d’une domination d’un sexe sur un autre. Quelles conséquences une telle révolution aurait-elle sur une société où les stéréotypes régissent la pensée et les mœurs ?
Utilisant la salle de spectacle « dans son jus » la mise en scène s’ouvre sur ce qu’on comprend être la réunion d’une cellule d’un mouvement féministe. Les spectateurs sont immergés, « utilisés » comme militants. La lumière d’ailleurs ne descendra que très tard (aux deux tiers du spectacle), les laissant à vue des comédiens et d’eux-mêmes. On leur distribue un tract (le prologue de la pièce). Petit à petit pourtant le théâtre va prendre le pas sur ce qui aurait pu être une reconstitution documentaire théâtralisée. Le texte de Marivaux s’immisce de plus en plus, les comédiens jouent tous les rôles, peu importe qui d’un homme ou d’une femme incarne un rôle féminin ou masculin. Cela pourrait paraître anecdotique dans un art où il semble que l’on ait fait fi de ce code depuis longtemps. Pourtant, ici, ce parti pris sert concrètement le propos et en prolonge même sa réflexion car si les hommes incarnent des femmes et les femmes des hommes, exit les stéréotypes comportementaux qu’on attribue plus à un sexe ou à un autre. Pas besoin de faire des chichis pour signifier la féminité, comme il n’est pas besoin non plus de montrer ses biceps pour signifier la virilité. Tout est limpide : on sait qui est qui. Cette démonstration pose alors les concepts de féminin et de masculin au-delà des stéréotypes qui leur sont attribués. Nous ne sommes plus que face à des humanités où la question de l’égalité deviendrait absurde si elle n’avait pas à se poser, puisqu’elle devrait être de fait. C’est alors que la question se déplace et se pose sociologiquement, entre pauvres et riches, entre conquérants et autochtones. La binarité de notre monde se pose en termes de dominants-dominés. Immanquablement. Comme s’il n’y avait pas d’autres façons de penser le monde.
Au-delà du propos philosophique, le spectacle donne à voir des comédiens fabuleux ( Bruno Coulon, Jézabel d’Alexis, Nicolas Martel, Julie Moulier et Grace Seri, remarquable ! ) qui s’en donnent à cœur-joie dans ce qui est aussi un formidable exemple de ce qu’est essentiellement le théâtre : un espace de liberté, où tout est permis, où les codes sont abolis, où jouer comme le feraient des enfants est la premier postulat et où le partage – notamment avec ceux qui regardent -est le moteur de cet art. Le théâtre: incarnation d’une pensée ludique, d’un espace où l’on refait le monde.
Un beau spectacle, joyeux, sensible et intelligent. C’est rare.

La femme n’existe pas (Variation sur La Colonie de Marivaux )
Texte : Barbara Métais-Chastanier
Mise en scène : Keti Irubetagoyena
Avec Bruno Coulon, Jézabel d’Alexis, Nicolas Martel, Julie Moulier et Grace Seri

Du 1er au 10 mars 2018 à 20h30 ( relâche le dimanche 4 mars) 

Théâtre de l’Echangeur – Bagnolet
59 avenue du Gnl de Gaulle
93170 Bagnolet
(M° Gallieni)
Réservation : 01 43 62 71 20

www.lechangeur.org
www.theatrevariable2.com

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