IMG_2561

4.48 PSYCHOSIS. Rencontre avec HÉLÈNE VIVIES

On l’avait repérée dans Femme de Chambre la première mise en scène de Sarah Capony (Cf : http://www.le-coryphee.com/chambre-a-rome/) dans laquelle elle jouait le rôle d’une prostituée. Depuis, Hélène Viviès n’a pas chômé: enchaînant les rôles sous la direction de François Rancillac (La Place Royale de Corneille), de Pauline Sales (J’ai bien fait ?) ou de Christian Benedetti (La Cerisaie de Tchekhov), la comédienne issue de l’ENSATT impose son talent et sa sensibilité sur la scène théâtrale subventionnée.
En ce début d’année, on la retrouve dans un texte de Sarah Kane 4.48 Psychosis, que monte Christian Benedetti au Théâtre–Studio d’Alfortville. Quasi immobile tout au long du spectacle, dans une scénographie épurée presque aride, Hélène Vivies, avec une précision remarquable et une maestria peu commune, donne à entendre une voix sortie d’outre-tombe, celle de l’auteure anglaise, décédée à l’âge de vingt-huit ans et entrée à jamais dans le Panthéon du théâtre mondial. Désespéré parce que trop lucide, le regard que Sarah Kane porte sur le monde est avant tout le regard qu’elle porte sur elle-même : un monde violent et terrassé dans lequel la seule chose à chercher et à trouver, capable de nous rendre à notre humanité, est l’amour. Hélène Viviès, tout en subtilité, entre violence et douceur, humour et inflexibilité, parvient ici à nous faire sentir le paradoxe d’une parole morbide se révélant, au bout du compte, un long cri de vie, une demande inextinguible d’amour.
Rencontre avec une comédienne passionnée et passionnante.

4.48 psychosis est la parole d’une femme, en l’occurrence l’auteur et dramaturge Sarah Kane. C’est une pièce testamentaire dans laquelle elle relate sa dépression, son mal de vivre. Comment avez-vous abordé ce rôle et ce texte ?
Je n’ai pas abordé ce texte comme un rôle. Il n’y a pas eu de trajet à faire vers un personnage parce que ce n’est pas un personnage, c’est Sarah Kane. Ca a plutôt été un chemin pour parvenir à incarner une pensée.
Le travail a été un travail d’humilité parce que de toute façon, je ne serai jamais à la hauteur de tout ce qu’elle a vécu, de ses failles, de son grand talent d’auteur. Et presque un travail de partition musicale aussi. C’est une écriture extrêmement précise et le travail s’est axé essentiellement là-dessus, ainsi que sur la recherche du sens. Tout est dans le texte. C’est un poème. Il faut le donner à entendre mais aussi le donner à voir presque. Il y a dans le texte une typographie particulière, des silences particuliers. Par exemple, les changements de tessitures sont presque écrits par rapport à la place de la phrase sur la page.
Le travail le plus compliqué à faire, je crois, a été d’essayé de rendre clair et limpide le sens sans en enlever le mystère ; le mystère de l’écriture. Donner à entendre le sens mais sans le banaliser, sans le trivialiser. Si on l’avait rendu trop concret, cela aurait enlevé une part de mystère de ce texte. Il fallait préserver cela.

Il y a un paradoxe qui se dégage du texte : cette femme a tellement envie de vivre, que, finalement, elle en crève…
Oui c’est exactement cela. Parfois on me demande si cela m’a affectée personnellement de traverser ce texte là et de le traverser tous les soirs… En fait, au fur et à mesure du travail, je me suis rendue compte qu’elle parlait d’amour à tous les mouvements. Ça ne m’avait pas frappée à la première lecture. C’est vraiment une demande d’amour. Il y a vingt-quatre mouvements dans la pièce. Il y en a même qui sont très courts. Par exemple, quand elle crie. Cela fait un mouvement. D’autres font quatre ou cinq pages. Mais c’est une demande d’amour à chaque fois. Sarah Kane est très lucide. C’est une pièce sur sa lucidité. Sur le comment quelqu’un se voit lui-même. Sur le comment je me vois et comment je me nomme. Comment je dis ce que je suis. En conscience. En grande conscience. Ce qui la pousse à dire qu’en fait elle a une incapacité -ou bien une telle envie d’aimer- que ça en est insupportable. Ca devient une grande souffrance.
Le fait qu’elle va mettre fin à ses jours, je n’arrive plus à le lire comme quelque chose d’absolument horrible. Donc ça ne m’affecte plus. Ça me remplie plutôt beaucoup de jouer cela. La pièce se termine sur « Ouvrez les rideaux ! » : on sent que c’est une pièce pleine de vie.

Ce qui ressort du texte c’est que c’est quelqu’un qui ne fait pas de concessions. Il y a une quête d’absolu totale. J’ai relevé qu’à un moment, elle dit qu’elle est au-delà des larmes. Je trouve qu’elle est également au-delà des mots. Si bien qu’il y a quelque chose qui se traduit physiquement, organiquement, au plateau…
Physiquement, il y a tout ce mouvement «Clignote, tremblote, taillade, brûle, tords, presse, tamponne, taillade, clignote… » Une tannée à apprendre ! Oui, c’est vrai ! Il faut le dire ! Car ce n’est jamais le même ordre. A cet endroit, oui, physiquement elle se taillade, elle clignote, elle tremblote…Mais avec Christian (ndrl : Christian Benedetti ) on n’a pas voulu mettre de l’affect. Ca aurait été déshonorer Sarah Kane. Et il était hors de question que je mette quelque chose de ma tristesse au plateau. Même si en répétition je suis passée par tous les états. Cela m’a profondément bouleversée à pleins de moments. Parfois même en représentation j’ai des moments où ça me ressaisit. Ma tristesse advient malgré moi. Je ne lutte pas contre. Mais dans tous les cas, ce n’est pas le moteur du travail. Le moteur du travail, c’est de la pensée. Et du plaisir à dire. Plaisir à dire : « écoutez-la ! »
C’est avant tout un cri de vie, c’est une lutte pour dire précisément une pensée. C’est une femme très intelligente et ce qu’elle dit est très intelligent. Quand je sors de ces mots là, je me dis que c’étaient les derniers mots qu’elle voulait dire. Et d’être allée au bout, de les avoir dit, c’est beau.

Vous parliez tout à l’heure de partition musicale. Vous changez souvent de tonalité. Parfois vous avez une voix très grave, puis très enfantine…
Mais c’est écrit. En tous cas c’est autre une manière de résoudre sa typographie extrêmement spéciale. Parfois elle écrit en « escalier » comme pour «  pourrait, voudrait, ou irait ».

Comme pour signifier différentes voix ?…
On ne sait pas. On a cherché, mais je pense qu’il ne faut pas donner de réponse à cette question. Si on le faisait, on enlèverait au texte de sa force. Pour les scènes avec le médecin, par exemple, on ne sait pas s’il y a un médecin. Dans le texte, il n’y a que des tirets. Il n’est pas dénommé. Souvent quand cette pièce est montée, on figure celui-ci. Dans la mise en scène de Claude Régy, il était caché derrière un tulle. Pour Christian, il était clair que la narratrice était seule. Je pense que c’est vrai ; qu’il a raison. Elle ré-évoque. Elle ré-écrit. Donc elle s’amuse. On a beaucoup travaillé sur la notion de « douleur différée » pour rendre compréhensible et objectif ce texte et se placer à un endroit de « ça s’est passé ». Car c’est parce que ça s’est passé, c’est parce qu’on n’a plus le nez collé à la douleur, qu’on peut en parler. C’est pour cela que je joue très vite le médecin. Avec ce texte, c’est en étant dans la forme la plus pure qu’on arrive à trouver le fond. La forme est le fond.

Les lumières, à la fin du spectacle, sculpte votre visage et peuvent correspondre à certaines émotions ou à certaines tonalités de votre voix. On peut même se demander si c’est un homme ou une femme qui parle.
Je me suis rendue compte de ces effets de lumières quand j’ai vu les photos. Sarah Kane dit d’elle qu’elle est hermaphrodite. C’est dit dans le texte. Mais on n’a jamais travaillé sur le féminin-masculin. Il n’y a pas d’intention par rapport à cela. Si ça advient c’est sans doute parce que le texte le fait entendre. Mais il y a eu quand même cette volonté d’être au plus près du physique de Sarah Kane. Alors je porte une perruque de cheveux courts, ce jean…des éléments qui asexuent. Tout cela est dans le texte. Elle parle d’elle comme « l’hermaphrodite brisée ».

A contrario de ce flot de paroles, le spectacle débute sur un très long silence.
Qui est écrit. Le texte commence par : « un très long silence » et après : « un long silence » et encore après : « silence ». Comment résoudre cela au plateau ? Comment faire la différence entre un très long silence et un silence, surtout si les didascalies se suivent ? On a des petites recettes cachées.

C’est très impressionnant…
Oui, il paraît ! Je ne m’en rendais pas compte parce que ça me met à un endroit d’extrême vulnérabilité et que tous les soirs, ça me traverse l’esprit, je me dis : « je vais m’en aller ; je ne vais pas le faire ». Pour le tenir, il fallait que je trouve la teneur de ce silence.

C’est la première 1ère fois que vous jouez un monologue ?
Oui. Enfin non. J’avais déjà fait un monologue de vingt-cinq minutes mais parmi plein d’autres, sur un texte de Pauline Sales qui s’intitule Israël-Palestine. J’avais donc touché au fait d’être seule en scène, mais ça faisait partie d’un spectacle très collectif. En fait, là, avec 4 .48 c’est vertigineux. C’est le plus gros trac de ma vie.

Est-ce que vous êtes allée puiser ailleurs que dans des textes de Sarah Kane pour préparer ce « rôle » ?
J’aime que des lectures m’accompagnent comme pour faire une sorte de sédiment. Parce que déjà, en ce qui concerne Sarah Kane, il n’y a que cinq pièces. Pour ce travail, j’ai lu beaucoup de mémoires. Notamment celles de Sylvia Plath, d’Alejandra Pizarnik une poétesse sud-américaine qui, comme Sylvia Plath s’est suicidée. Mais après, le matériau 4.48 Psychosis est tellement énorme, tellement dense, qu’au fond tout est là. Il faut être au plus près du plus près de la structure. Ca n’empêche pas d’inventer. Mais on invente à partir de cette matière là.

C’est votre seconde collaboration avec Chistian Benedetti. Est-ce que c’est un compagnonnage qui va durer ?
Je l’espère ! J’avais joué Varia dans La Cerisaie. C’était la première fois que je travaillais avec lui, qui plus est sur ce projet Tchekhov qu’il tenait déjà depuis quelques années. Il fallait rentrer là-dedans. Comme on était plusieurs petits nouveaux à arriver sur le projet, ça m’a aidée à être moins impressionnée. J’aime énormément le travail de Christian. C’est un metteur en scène qui respecte énormément les auteurs ; qui ne travaille que là-dessus. Pour lui les personnages de Tchekhov sont avant tout des personnages qui pensent. Par conséquent, il n’y a jamais de travail de composition. On a dit sur les Tchekhov que Christian voulait accélérer les pièces. Ce n’est pas vrai. En fait il considère que si Tchékhov prend la peine d’écrire « pause », « pause » et encore « pause », c’est qu’il y a bien une raison. Entre chaque « pause » il s’agit d’un long mouvement comme si plusieurs répliques faisaient partie d’une même pensée. On joue de pause à pause chez Christian. Cette façon de travailler a modifié ma façon de penser le texte. Je pense qu’il faut faire de plus en plus confiance au texte et à la structure de celui-ci même si on ne comprend pas tout. Souvent quand on ne comprend pas, on veut mettre du sentiment pour expliquer. En fait c’est là qu’on se trompe. Les résolutions par le sentiment ne sont souvent pas très efficaces. Elles font plutôt régresser. Le sens vient quand les phrases sont juste données. Mais le travail de Christian rend l’acteur très vulnérable car passer par le sentiment fait partie de nos outils dans le travail d’acteur. Là, on se dépouille de tous nos points d’appui. Il faut donc être très en confiance. Et cela demande énormément de travail, de recherche, pour arriver à cet endroit d’écume. Ca peut paraître paradoxal.
Sur 4.48, du point de vue du travail, ça a été intellectuellement fascinant. Christian est un metteur en scène qui porte. Il m’a fait une confiance absolue.

Quels sont vos projets après 4.48 Psychosis?
Je vais jouer au Festival d’Avignon le dernier texte de Pauline Sales « J’ai bien fait ?» au Théâtre Gilgamesh. C’est une mise en scène de Pauline Sales. On l’a créé en novembre 2016 pour quelques dates et là, on va le jouer vingt fois au festival. L’histoire? Une femme prof de français débarque un soir chez son frère plasticien. Elle vit en Normandie et lui à Paris. Elle débarque chez lui dans un état très particulier. Il lui demande ce qu’elle fait là. Elle contourne la question pour finalement lui dire qu’elle est en voyage scolaire avec ses élèves de troisième, sauf que…on ne sait pas où ils sont. A partir de quelque chose qui commence comme un fait divers on finit par s’interroger sur ce qu’on fait au monde, le rapport qu’on a à l’art, à l’autre. Mais c’est avant tout une comédie.

4.48 Psychosis de Sarah Kane
Mise en scène de Christian Benedetti 
Avec Hélène Viviès

du 25 janvier au 25 février 2017 
mardi et jeudi à 20h30/ Samedi à 19h 
(Spectacle en alternance avec Blasted de Sarah Kane) 

Studio-Théâtre d’Alfortville
16 rue Marcelin Berthelot
94140 Alfortville ( M° L8 arrêt Ecole Vétérinaire de Maison-Alfort) 
Réservation: 01 43 76 86 56 
http://www.theatre-studio.com

Partager :

FacebookTwitterTumblr


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *