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UNE CHAMBRE EN INDE

Le Théâtre et ses doubles…

Se rendre au Théâtre du Soleil c’est comme se préparer à une sorte de rituel ; il y a une excitation particulière, le cœur bat intensément, le sourire vous monte aux lèvres car on sait qu’un nouveau voyage nous attend et on espère être conquis par le travail de la troupe la plus mythique de l’histoire du théâtre…

Arrivé sur place, on vous tend votre billet avec bienveillance, la grande Ariane Mnouchkine vous le déchire en vous remerciant et puis on va goûter le délicieux jus d’hibiscus ou de gingembre de l’adorable Fanta. On va ensuite manger un plat indien aux côtés d’une spécialiste du théâtre grec ou d’une ancienne journaliste du New York Times avec qui vous venez de faire connaissance ! On découvre les murs repeints du grand foyer en harmonie avec la création et sur lequel des citations indiennes prônent le courage, l’amour, la fraternité et nous préparent subtilement à ce que l’on va voir. Puis dans l’antre de la salle de spectacle, on assiste à l’échauffement de voix des comédiens par des chants traditionnels indiens ; on jette un coup d’œil par les moucharabiehs sur les artistes qui se concentrent et puis voilà on part s’installer…

Et durant plus de trois heures, il va falloir se frotter les yeux à maintes reprises en découvrant l’extraordinaire richesse et la proposition extrêmement forte que le Soleil va nous délivrer. Une chambre en Inde est un spectacle aux multiples entrées tout comme l’esprit de Cornélia, héroïne malgré elle de l’histoire, qui quelque part, dans une chambre en Inde, panique à l’idée de devoir créer un spectacle pour le lendemain, juste après l’abandon du directeur de troupe, parti après les attentats ! Elle se réfugie aux toilettes ou sous sa couette comme pour échapper à cette tâche bien trop lourde pour elle.

C’est alors que son inconscient va convoquer une multitude de personnages et de situations ; témoins illustres du passé, créatures étranges ou encore une troupe de théâtre traditionnel indienne se bousculent dans cette chambre qui devient la plus incroyable et la plus fantastique des scènes de théâtre ! Les entrées multiples ne sont pas qu’abstraites : sur un des côtés, des fenêtres servent de passerelles à ce monde imaginaire qui s’engouffre dans la chambre, les portes de l’arrière-fond et du côté opposé semblent faire entrer le réel qui vient rattraper la metteure en scène aux moments les plus inopportuns  !

Et petit à petit, cette chambre indienne aux maintes dimensions va devenir le lieu du plus beau des manifestes qu’Ariane et le Théâtre du Soleil nous ait offert depuis longtemps ; un hymne à la tolérance, à la fraternité, contre la barbarie, contre tous les fanatismes. Les scènes fustigeant Daesh et caricaturant ostensiblement ses adeptes (clin d’œil à Charlie) sont absolument hilarantes ! Car le rire devient ici l’arme la plus puissante face à un monde qui bascule vers l’obscurantisme. Mais il n’est pas question que de Daesh, le spectacle traite aussi du sort de la planète qui se dégrade, de celui des migrants, de la Syrie, de l’Irak, des femmes, du droit à s’aimer qui que l’on soit… Il dresse un constat plutôt morose de ce monde qui, comme les événements récents le démontrent (Trump, le Brexit,…), bascule vers le repli sur soi et le rejet de l’autre, néfastes à notre humanisme… Le Soleil nous met en garde et nous alerte en passant par le prisme de l’humour, furieusement absurde et décalé par endroit ; un humour qu’on voudrait salutaire et guérisseur.

Mais l’aspect le plus troublant d’Une chambre en Inde est cette surprenante et vertigineuse mise en abîme : des théâtres dans le théâtre. C’est troublant parce que rarement le Soleil est allé aussi loin. Toutes ses inspirations et ses influences sont là : Shakespeare, Tchekhov, Artaud, évoqués au détour d’une scène ou personnifiés. Tout l’amour du Soleil pour son art, qu’il fait rayonner à travers le monde, transpire ici dans chaque pore des acteurs, dans chaque séquence, derrière chaque image. Cornélia, face aux affres de la création, pourrait être vue comme un double d’Ariane mais aussi comme la cheffe de troupe de Et soudain, des nuits d’éveils… Il y a l’odeur du Japon et des tambours, un soupçon des Naufragés du fol espoir qui revivent à travers les scènes de tournage de Daesh, etc, etc… Le miroir du théâtre est omniprésent.

Et ce théâtre et ses doubles est peut-être celui qui pourrait éclairer et sauver ce monde qui s’ébranle ; si tant est qu’on sache le préserver (toute comme cette troupe indienne, menacée) et qu’on lui laisse encore sa liberté de montrer et de dire… Le final, sans rien dévoiler, résonne alors comme la plus belle déclaration d’amour au théâtre et à l’humanité. Une chambre en Inde nous apparaît comme un cri, un appel, un éclat de rire derrière lesquels il y a l’espoir, la vigilance et la résistance.

Merci donc pour ces rires, ces larmes, cet engagement sans faille. Face à ce monde qui se fissure de toutes parts, nous avons plus que jamais besoin de réconfort ; besoin de vous, Madame Mnouchkine et du Théâtre du Soleil. Puissiez-vous réchauffer nos cœurs et nos âmes pour très longtemps encore…

Une chambre en Inde
Une création collective du Théâtre du Soleil
Dirigée par Ariane Mnouchkine
Musique de Jean-Jacques Lemêtre
En harmonie avec Hélène Cixous
avec la participation exceptionnelle de
Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran
Jusqu’au 10 février 2017 / Du 3 mars au 21 mai 2017 / 16 juin au 9 juillet 2017
Du mercredi au vendredi à 19h30 / Le samedi à 16h / Le dimanche à 13h30

Théâtre du Soleil
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre  Paris 12ème
Métro : Ligne 1 (Château de Vincennes) puis prendre bus 112, (arrêt Cartoucherie) ou la navette Cartoucherie
Réservations : 01 43 74 24 08 (individuels) / 01 43 74 88 50 (collectivités) www.theatre-du-soleil.fr
Crédit photo : © Anne Lacombe

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