Dans les solitudes des êtres…

Comme cela lui arrive de temps à autres, la Comédie Française invite un metteur en scène extérieur et lui propose ses acteurs pour une nouvelle création. Cette fois-ci c’est la jeune Julie Deliquet qui se prête à l’exercice, une metteure en scène de l’intime et d’un théâtre du réel qui dirige le collectif In Vitro avec lequel elle présente régulièrement de magnifiques créations comme Catherine et Christian.

Et c’est Oncle Vania qu’elle choisit d’adapter et de confronter au temps présent. Car c’est bien là que Julie Deliquet excelle : faire de la représentation théâtrale un moment qui se joue sous nos yeux, de manière directe et ancré dans le réel. Pour cela, elle va se permettre quelques libertés audacieuses et judicieuses : elle épure l’oeuvre de Tchekhov de références trop russes ou de formules datées et l’amène vers nous en rendant le propos plus universel et concret.

Elle opte pour une scénographie bi-frontale où le spectateur regarde les acteurs comme il regarde les autres spectateurs en face comme pour nous dire que l’histoire qui se joue pourrait être la nôtre.
Elle place cette famille où chacun joue sa partition de solitude autour d’une grande table de vie où les enjeux intimes vont pouvoir s’étendre et se répandre et tout en respectant l’essence de la pièce, elle nous plonge dans une atmosphère furieusement contemporaine.

Une scène où Serebriakov montre le premier film parlant d’un réalisateur allemand expressionniste en est la plus belle illustration : tous tentent de suivre le film mais se prennent à partie les uns les autres, leurs ombres glissant sur la toile et se mêlant aux images qui défilent. Cette préhension du réel est une totale réussite dans cette adaptation qui  nous fait voir ses protagonistes comme des membres de notre famille et met en lumière leurs travers, leurs frustrations, leurs  échecs….

Et Julie Deliquet parvient également à amener le acteurs du Français, tous formidables (Laurent Stocker en Vania, Dominique Blanc en Maria…), à sortir du carcan classique en prenant un véritable risque ; celui d’être là comme sur un fil et de jouer les situations comme si elles s’inventaient au fur et à mesure. Alors plus rien n’est surjoué, tout est fin, délicat, sonne juste et l’humour peut s’immiscer aussi…

Vania est un petit bijou qui revisite d’une manière nouvelle et pertinente une pièce maintes fois montée mais dont le sens et la profondeur ont été rarement aussi évidents que dans cette formidable proposition au Théâtre du Vieux-Colombier.

Vania
d’Anton Tchekhov
Par la troupe de la Comédie Française
Mise en scène et scénographie : Julie Deliquet
Avec : Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Dominique Blanc
Costumes : Julie Scobeltzine / Lumières : Jean-Pierre Michel et Laura Sueur / Musique originale : Mathieu Boccaren
Du 21 septembre au 6 novembre 2016
Le mardi à 19h / Du mercredi au samedi à 20h30 / Le dimanche à 15h

Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6^e
Métro : Saint-Sulpice (Ligne 4)
Réservations : 01 44 39 87 00/01 ou sur www.comedie-francaise.fr
Crédit Photo : ©Simon Gosselin, collection Comédie-Française