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ILIADE / BRISÉE

Laurence Campet redonne vie à Briséis l’oubliée

Après avoir mis en scène « Wolfgang » du grec Yannis Mavritsakis il y a deux ans à l’Atalante, Laurence Campet continue à entretenir ce lien particulier et presque viscéral que la Grèce lui inspire. Après avoir donc défendu une écriture contemporaine, elle décide de nous plonger à sa manière dans la poésie épique et lyrique d’Homère, dans le récit de l’Iliade… 

Si elle choisit comme socle de son spectacle cette épopée riche en héros et en dieux mythiques qui compte entre autres la fameuse guerre de Troie, ce n’est pas pour nous conter une énième fois les faits d’armes et les victoires des hommes comme cela est souvent écrit ou montré dans ce qui est passé à la postérité. Mais c’est plutôt pour partir à la recherche de traces féminines, redonner la parole aux femmes de l’Iliade qui souvent n’apparaissent que comme butin, trophée de guerre ou objet de convoitise et leur insuffler une autre dimension pour les faire renaître à nos yeux.

Et quelle excellente idée de faire parler Briséis, reine oubliée, femme du roi Mynès allié des Troyens, enlevée par les Grecs et offerte à Achille qui compare leur relation à celle d’un homme et de son épouse ne supportant pas le fait qu’Agamemnon partage son lit avec elle. C’est donc à travers son récit, son regard, son ressenti que le spectateur va redécouvrir l’Iliade et en avoir une autre vision de ses héros, plus proches du sentiment humain que de la foudre divine.

Laurence Campet incarne alors Briséis accompagnée d’un guitariste et ouvre la porte de cette autre Iliade. Cette idée brillante va merveilleusement prendre forme sur le plateau grâce à plusieurs choix de mise en scène très pertinents. D’abord, Laurence Campet choisit d’en faire une Briséis « rock and roll » en blouson de cuir et en pantalon balayant d’un revers de la main une quelconque représentation classique ou victimaire du personnage. Comme si l’actrice (et aussi la metteure en scène) prenait possession d’elle pour lui donner une parole affirmée, une parole d’aujourd’hui. Et ça marche, dès le départ, la connexion s’opère et l’attention n’en est que plus forte.

L a musique va aussi jouer un rôle essentiel en parfait accord avec la voix de Briséis. La guitare électrique du formidable musicien Orestis Kalampalikis, traduit à sa manière cette envolée lyrique du poème homérique tout en renforçant l’aspect rock avec des accents de musique grecque. Avec Briséis de temps à autre au micro, on a parfois l’impression de quitter la scène de théâtre pour une scène de concert ! L’écoute et l’harmonie entre les deux artistes sonnent justes et nous envoûtent.

Et puis en s’appuyant sur des traductions d’Homère fluides et compréhensibles, Laurence Campet s’adresse de manière directe et simple au public. Le récit de Briséis nous parvient alors parfaitement et en devient touchant lorsque par exemple elle évoque Achille qui ne la regarde plus, semblant invisible à ses yeux : il l’oublie comme l’histoire va l’oublier, elle. Alors, Briséis profite de cette lumière et devient maîtresse du temps et du récit se permettant de jouer les autres figures : Achille, Agamemnon, Calchas… Et Laurence Campet va alors s’autoriser dans ce spectacle une bravoure scénique : sortir parfois de l’emprise de Briséis pour redevenir elle-même, perchée sur un tabouret et expliquer une partie de l’Iliade, nous demandant même à nous, spectateurs, si nous avions des questions. Et là encore ce va et vient « vaudouesque » fonctionne très bien et nous ramène au présent, à « ici et maintenant ».

Finalement, L’Iliade/ Brisée de Laurence Campet ne se regarde pas mais se partage. C’est là une grande réussite du spectacle qui se veut généreux dans son souci de transmettre la parole : celle des oubliées, des grecques, des troyennes mais aussi, comme nous fait entendre la modernité du propos, celle de toutes ces femmes mises à l’écart dans les conflits de notre époque. Souvent ce sont elles qui racontent, par leurs larmes ou par les larmes de leurs époux, de leurs héros, les vicissitudes de l’âme humaine. Hélène Monsacré écrit dans Les Larmes d’Achille : « Quand les hommes cessèrent de penser avec les catégories de l’héroïsme, ils firent aux femmes le don des larmes ». Et c’est ce don, cette parole, ce cri étouffé et puissant que nous offre avec tant de justesse l’Iliade rock de Laurence Campet.

Comme les belles images projetées, miroirs de Briséis, qui s’évaporent sur le fond de la scène, nous prenons conscience de l’évanescence de la parole qu’il nous faudrait préserver et nous quittons la salle riches d’une poésie universelle qui nous élève et qui n’est plus seulement… l’apanage des dieux !

L’Iliade / Brisée
Texte et jeu : Laurence Campet
Composition et interprétation musicales : Orestis Kalampalikis Scénographie : Fanny Laplane / Images : Nathalie Hervieux Lumières / Lumières et régie générale : Manon Geffroy
Avec la complicité artistique de Fatima Aïbout et Françoise Huguet
Coproduction : Groupe Marcelle Proust – Compagnie RL www.compagnierl.com
Du 30 novembre au 18 décembre 2016
Du mercredi au vendredi à 20h30 / Samedi à 16h et 20h30 / Dimanche à 18h30

Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre  Paris 12ème
Métro : Ligne 1 (Château de Vincennes) puis prendre bus 112, (arrêt Cartoucherie) ou la navette Cartoucherie
Réservations :   01 48 08 39 74 ou sur www.epeedebois.com
Crédit Photo : Nathalie Hervieux

Et aussi au Théâtre de l’Épée de Bois par la Compagnie RL : La double inconstance du 30 novembre au 24 décembre 2016
Détailswww.epeedebois.com

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