MARCEL4©SidneyCarron

MARCEL

La vraie vie 

Il y a quelques temps, Christophe Honoré, cinéaste et metteur en scène de théâtre nous livrait un joli bijou Du côté de Germantes avec la troupe de la Comédie Française. Mais on ne peut pas vraiment dire que Marcel Proust soit si régulièrement ou si intensément monté au théâtre que cela. L’ adaptation de ses romans, de son style inimitable, de ses chefs d’oeuvres absolus et intemporels de la littérature française, demandent une profonde réflexion. Car on ne touche pas à Proust impunément… La proposition qui nous est faite dans l’immense Théâtre 13ème Art sort des sentiers battus aussi bien par ses protagonistes que la scénographie qui la compose. Sur scène deux immenses talents vont lire les mots de l’auteur dans ce qu’on pourrait appeler une lecture mise en espace. D’une part l’inégalable Françoise Fabian, actrice mythique, ayant tourné avec Louis Malle, Rohmer, LeLouch, Demy ou encore avec Michel Deville qui vient à peine de nous quitter. À la télévision, on a pu la voir récemment dans l’excellente série Dix pour cent. Et d’autre part, Oxmo Puccino, rappeur et slameur franco-malien qui manie la langue française et le flot comme personne ; on le surnomme le « Black Jacques Brel » pour vous donner un idée de son talent et de son débit percutant.

Sur le papier la rencontre de ses deux artistes, de ces deux mondes qui semblent si différents, interroge. Mais pourquoi pas ? Et lorsque l’on découvre qu’une danseuse-voltigeuse, Alexandra Poupin, va elle aussi faire partie intégrante du spectacle cela attise davantage notre curiosité.

Le spectacle va se découper en plusieurs tableaux évoquant chacun un extrait de À la recherche du temps perdu, des petites madeleines littéraires qui vont parvenir avec délectation à nos oreilles. Mais le spectacle va aussi se découper sur des toiles de lumières, des murs digitaux où les images vont se mouvoir pour dessiner un décor, une atmosphère… Une sorte de son et lumière qui accompagne et enrobe tout le long les acteurs-lecteurs de Proust.

Et c’est avec l’extrait Combray que débute cette traversée onirique et dès le départ, aidés par une musique forte et sous-jacente, les deux acteurs nous percutent par leur façon de dire les mots. Ils les offrent au public à la fois de manière directe et adressée mais aussi en gardant une part de mystère dans leur for intérieur pour mieux la diluer dans l’espace gigantesque dans lequel ils vont se balader.

Oxmo Puccino en restant simple et précis dans son phrasé parvient à souffler le texte proustien avec une belle intensité faisant de lui un narrateur-acteur à la fois présent et distant ; quant à Françoise Fabian elle épouse le verbe en plongeant littéralement dans l’âme de cette si belle écriture. Elle transpire d’émotions et interprète chaque personnage en le croquant à bras ile corps…

Cela donne de très beaux passages où elle nous fait sourire en Mme Verdurin et nous émeut lorsqu’elle surgit en grand-mère dans Les intermittences du coeur. Ce tableau est d’ailleurs magnifique avec des couleurs sombres et argentées qui pleuvent sur les écrans et une mise en scène soignée qui en osmose avec les deux protagonistes fait naitre la grande sensibilité  qui traverse l’oeuvre proustienne.

Et au milieu de ces tableaux qui se succèdent aussi impressionnants les uns que les autres, la danseuse acrobate dialogue à sa manière avec les deux acteurs. Porteuse de lumière, fée aérienne, elle amène de la poésie circasssienne au milieu d’un décor numérique. Et étrangement elle s’intègre à merveille dans cet univers.

Le patchwork que nous propose Jérémie Lippmann où différents arts s’entremêlent fonctionne : texte, acteurs, danses, images se répondent pour faire exploser un magma de sensations. Et cela atteint son apogée avec cette fulgurance d’Oxmo Puccino qui dans Les cris de Paris va cracher le texte sur une musique de rap. C’est dément ! Et cela donne presque envie de voir un spectacle entier  sur Proust proféré de cette manière !

Et puis apercevoir danser Françoise Fabian sur ce style de musique est une petite madeleine de Proust ! Et on y arrive à la madeleine, dernier extrait où toute la poésie de Proust, toute sa genèse, toute son aspiration aux choses simples éclatent. Nous traversons le passé, la mémoire, l’enfance, le temps pour arriver à cette simple conclusion : seule. compte la vraie vie…

« Longtemps je me suis couché de bonne heure… » est probablement la phrase la plus célèbre de la littérature française. À vous, spectateurs, il ne vous reste pas longtemps pour aller voir Marcel et applaudir ce spectacle-ovni qui vous fera incroyablement voyager et vous fera saisir la folle modernité de l’écriture de Proust cent ans après sa mort. Et après ça, vous pourrez tranquillement aller vous coucher…

Marcel 
D’après À la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Avec : Françoise Fabian, Oxmo Puccino et Alexandra Poupin
Mise en scène :  Jérémie Lippmann
Jusqu’au 4 mars 2023 
Du mercredi au dimanche – 15h / 19h / 20h ou 21h

Le 13ème Art
Avenue d’Italie Paris 13ème
Métro : Place d’Italie  (Lignes 5, 6, et 7)
Réservations : www.ticketmaster.fr / 01 48 28 53 53
13eme art

Crédit Photo : ©SidneyCarron

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