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LOUISE ROAM – Stargaze

Au mois de mai prochain sortira Stargaze, le troisième EP de Louise Roam, musicienne issue d’une formation classique en violon, qui s’est tournée vers la musique électronique et qui a déjà deux Ep à son actif: Raptus et Avaton, très remarqués à leur sortie. Nous l’avons rencontrée.

Comment t’est venue l’idée de Stargaze ?
En fait j’ai écrit un disque avant Stargaze mais qui n’est pas sorti. J’avais sorti Avaton, j’avais fait quelques dates et je me suis dit : il faut que j’écrive. Donc je m’y suis mise. J’étais en pleine rupture. C’était n’importe quoi. J’écrivais beaucoup. Je voulais écrire en français et je n’y arrivais pas. C’était dramatique. Alors j’ai décidé de ne pas sortir ce disque qui était pourtant bien avancé. J’ai pris un temps pour me poser et je me suis rendue compte que je m’étais donnée trop de contraintes. En fait je voulais construire quelque chose de solide parce que, sur les deux EP précédents, j’avais composé à partir de sonorités. De ces sonorités avaient découlées les musiques et ensuite j’avais écrit les paroles. Ca s’assemblait bien. Pour ce disque qui n’est pas sorti, je voulais avoir une méthodologie, construire le truc comme une maison avec des fondations…Résultat : impossible. Ca a été très dur car j’ai été face à mon incapacité. Je me suis dit que je ne pourrais plus jamais faire de musique. Et puis je suis tombée sur l’interview d’une femme qui parlait de radio astronomie. Donc je découvre comment on peut étudier l’univers, tout ce qui n’est pas visible (en tout cas avec les lunettes), l’envoi des ondes radio etc… J’écoute ces sons, je trouve ça beau et, il se passe un truc. Je ne pourrais mettre de mots dessus, mais ça m’a tout de suite touchée. Ca a résonné en moi directement. J’écoute ces sons et je me dis qu’on peut faire un disque de cela. Ce qui est marrant c’est que, quelques jours avant de tomber sur cette interview, j’ai repensé à ma grand–mère et je me suis souvenue que, lorsque j’étais enfant, on se mettait toutes les deux sur des chaises longues la nuit, à la campagne, et on regardait les étoiles. Je lui disais souvent : « Tu te rends compte, plus on regarde et plus on va loin ». Quand tu es dans l’obscurité, tu finis par voir des choses que tu ne voyais pas car ton œil s’habitue. Je me demandais alors jusqu’qu’où on pouvait aller, jusqu’où on pouvait voir ? On ne le saura jamais…Voilà, quelques jours avant d’entendre cette interview, je repensais à cela. Alors je me suis dit : « Et bien moi, je vais y aller dans l’espace, je vais aller voir ce qui s’y passe ».

On a la sensation que tout l’EP raconte une histoire…
En fait Stargaze, c’est une chronologie. C’est une histoire. Je suis vraiment partie dans l’espace ! Je me suis imaginée ce qui pouvait se passer si on décollait de la terre. Pour le premier morceau, (ndlr : « Stargaze »), on est sur terre. On va partir. On part.C’est la capsule qui décolle. Ce qui ouvre le morceau, ce sont des sons du soleil et le bruit des éruptions à la surface de celui-ci. Le soleil, c’est la vie. Si on ne l’avait pas, on ne serait pas là. Il y a un pulsar, une étoile à neutrons qui vient se greffer à ces sons. C’est une étoile qui tourne sur elle-même. Pour «Vera Rubin’s journey» : je tombe sur des articles de cette scientifique qui a mené de nombreux travaux sur la rotation de notre galaxie. Comme c’était une femme, elle n’a jamais été tellement reconnue au moment où elle a fait ses découvertes. Je me suis dit « Quelle frustration elle a du avoir ! » et j’ai voulu faire un titre qui portait son nom. Pour « The March » : je me suis retournée. J’ai regardé la terre. C’est un peu l’état des lieux, un dilemme : est-ce qu’il faut partir, est-ce qu’il faut revenir ? « Ciel d’ouest » : je prends la décision de quitter la terre et de ne pas revenir. C’est aussi une histoire d’amour entre une personne qui est là-haut et une personne qui est restée en bas. Cette personne restée sur terre regarde le ciel et imagine l’autre dans le ciel. J’avais vu la rétrospective d’Haraki au Musée Guimet à Paris. Il photographie tous les jours le ciel avec son polaroïd. Sa femme est morte. Il se dit qu’elle est dans le ciel, alors il le photographie tous les jours comme il la photographierait elle. C’est cette idée que je voulais mettre en avant : ne pas couper le lien. Et puis : « Mer noire ». C’est drôle parce c’est un rescapé de ce disque que je n’ai pas sorti. Là, c’est la rupture. Ce qui est marrant -je m’en rends compte en parlant- c’est que le disque que je n’ai pas sorti était le coup d’essai de celui-ci. Les deux n’ont rien à voir, mais finalement l’histoire de l’un est transposée dans l’autre.

Tu parlais de méthodologie dans l’écriture. Comment écris-tu ? Est-ce qu’il y a une façon pour toi de trouver l’inspiration ?
En fait pour Stargaze j’ai fait un truc un peu taré. Je l’avais fait aussi pour Raptus (Ndlr : 1erEP). J’ai contraint mon corps. C’est-à-dire que je le mets dans des conditions de processus créatif. Par exemple, là, j’ai modifié mon rythme de vie. J’ai « rallongé » mes journées. Au lieu de vivre sur 24h, j’ai vécu sur 26h. Ca m’a mise dans un état de distorsion. Tu distords le temps en fait. Pour Raptus, j’étais partie dans des forêts. Je m’étais complètement perdue dedans. J’y ai vécu complètement en extase. J’aime bien contraindre le corps parce que ça contraint l’esprit aussi. On trouve des états d’être pour créer. C’est une mécanique qui se met en place. C’est sans doute inconscient. Mais bon, je ne suis pas docteure en inconscience, non plus. En fait, c’est comme se mettre au bord. Je me souviens, quand j’ai écrit « The Walk », j’ai passé deux mois sur ce titre. Il y avait un truc qui ne marchait pas. Une copine passe à la maison. Elle me demande si ça va. Je lui dit « non, je ne trouve pas »… En fait, j’avais ramené la forêt chez moi. J’étais dans la forêt. C’était dingue. Je gardais la conscience que j’étais dans une forme d’état second, de transe. J’ai eu peur de tomber dans la folie. Il fallait garder une certaine distance quand même avec cet état. Je me suis fait peur. Heureusement que cette amie m’a sortie de ça. Elle m’a dit : «Maintenant ça suffit. Tu arrêtes. On sort. » Et elle a eu raison. Mais Stargaze, je l’ai écrit en trois semaines donc c’était plus condensé.

J’ai eu la sensation en écoutant le disque que tu cherchais à « écrire le silence ». Le silence au sens de ce qui est impalpable, indicible, comme les émotions…
La plus belle chose que j’ai jamais entendue de toute ma vie, c’est cette respiration juste avant le début d’un morceau. Je viens du classique. Et, ce moment dans un orchestre, juste avant de démarrer, cette respiration, ce silence, c’est d’un poids ! C’est plus fort que n’importe quelle musique. C’est chargé de tellement de sens. Et, tout dépend de comment tu vas respirer parce que, si tu ne respires pas bien, ça ne va pas être bien après. Donc oui, le silence et la respiration. En fait, le silence respire. Ce que je regrette dans ma musique -j’essaie de le faire mais je n’y arrive pas- c’est de mettre moins de choses. Il y a trop de musique, je trouve. Je me fatigue. Sur Stargaze, j’ai l’impression que c’est minimaliste mais en fait ça ne l’est pas du tout.

Je trouve les textes très poétiques. Peux-tu me parler de l’écriture de ces textes ? Il y a une simplicité dans tes mots qui les chargent très fortement d’un point de vue émotionnel.
J’aime bien cette phrase dans «Vera Rubin’s journey » : « Secret is made of noise » : le secret est fait de bruit.
En fait, ce sont des idées. Des impressions.
Pour «Mer noire», le texte est très simple. C’est un rescapé du disque qui n’est pas sorti. J’ai laissé le texte tel quel. Je ne l’ai pas retouché. Il est assez…Comment dire…On dirait une ado de 15 ans. Mais c’est ce que j’ai ressenti et je n’étais pas encore libre d’écrire en français. Mais là, je suis en train de préparer l’album et j’écris en français. Je n’ai plus peur de dire vraiment les choses.

Pourquoi ? Le français c’est plus direct ?
A chaque fois que je chante ça devant des gens, je pleure ! Je comprends ce que je dis.  Le français, c’est ma langue maternelle. Ca part vers les gens et ça revient avec une puissance incroyable. L’anglais c’est un filtre. Je me cache beaucoup. Mais là, j’ai vieilli un peu. J’ai moins peur. Sur « Mer noire », je n’avais pas encore trouvé le rythme du français. D’où ce côté « robotique » du chant.

D’un morceau à l’autre, il y a des « traces » qui sont laissées. Certains sons sont repris dans le morceau suivant puis abandonnés pour qu’un autre prenne le relais et ainsi de suite.  Dans « Stargaze » au début par exemple, il y a un bruit de pas qu’on retrouve sur « Vera Rubin’s journey »…
Oui mais ce ne sont pas des pas. C’est le pulsar. C’est l’étoile à neutrons. J’ai mis des reverb dessus. En fait je prends un petit bout de son et je vais l’étirer… et puis je vais mettre ça dans des synthés et jouer avec…Tout est travaillé.

 Il y a le cri du loup aussi qu’on trouve dans « Ciel d’ouest » qui se transforme en sirène dans « Mer noire » et que tu chantes dans la reprise de « Stargaze ». Une petite montée vocale…
C’est drôle car je commence à prendre des libertés avec ma voix. Je ne suis pas chanteuse. Je n’ai jamais eu cette prétention. Mais je commence à m’amuser avec, même si c’est encore timide. Donc là, oui : je fais le loup.
A la base l’idée du cri de loup c’est Nicolas Borne du Studio Shelter à Paris qui l’a eue pour l’EP que je ne ai pas sorti. A l’époque, je suis allée là bas avec mes démos. C’était la première fois que je faisais ça. Le morceau le plus avancé était « Mer noire ». Il était terminé. Donc on a remplacé des sons. On a mis ceux du loup. Et ca a pris une dimension sonore très grande. On voit bien que le son de «Mer noire » n’est pas le même que celui des autres morceaux. J’avais aussi des morceaux moins finis. Je voulais qu’on fasse un travail à quatre mains, mais ça n’a pas été possible. Finalement c’était normal car c’était un projet trop personnel. Il n’ y a que moi qui peux faire ce que je fais, comme n’importe quel artiste ne peut faire que ce qu’il sait faire.  On a tous notre patte.

Comment choisi-tu les sons ? Est-ce qu’ils sont tous signifiants pour toi ?
C’est un travail que je fais en amont. Pour Stargaze, avant d’avoir l’idée de les dérouler, j’avais chercher des sons et je m’étais constituer une banque. Je ne sais pas pourquoi mais ce sont des sons qui me touche. Ca ne s’explique pas. Ca déclenche des idées et des images. En fait c’est très bizarre la façon dont ça se construit : je recherche des sons, cette recherche déclenche des images, qui déclenchent une idée ; dans le même temps je vais regarder ou lire quelque chose qui va complètement faire sens avec la recherche précédente et puis, tout se monte. C’est un peu magique. Tout se greffe petit à petit. Naturellement. L’idée se construit, s’enrichit. Après, je fais ma tambouille.

Tu sculptes les sons en fait…
Oui. Je suis allée voir les œuvres du sculpteur Zadkine au musée du même nom. Je me suis vachement retrouvée dans son travail. Il part du bloc. Il prend dans la nature un bloc. Celui-ci a une forme et il sculpte par rapport à cette forme. Le résultat va donc découler de ce qui était initialement fait par la nature. Je crois que Stargaze, c’est un peu ça : j’ai pris ces sons de l’univers et je les ai travaillé. C’est bien prétentieux, non ?

Qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?
Nils Frahm et Sakamoto. C’est tellement génial que j’aurai envie de faire la même chose. Nils Frahm est un pianiste. Ce qu’il fait est dingue. Sakamoto, j’écoute des bruits, des sons. En fait je ne saurai pas trop quoi écouter en ce moment. J’écoute du classique. C’est bien parce que c’est très loin de ce que je fais.

Tu termines l’EP avec la reprise du premier titre en piano-voix. Est-ce que c’est une envie d’aller plus loin avec les instruments ? De lâcher les machines ?
Le plaisir de faire ça, c’était de montrer comment le morceau avait été écrit. La base du morceau, c’est ce piano-voix.  Il est assez classique. Je voulais montrer ce qu’on pouvait en faire quand on intègre ce matériau à son propre univers. Qu’est ce que ça donne ? C’était pour montrer le squelette. J’ai fait ça à la maison. En une fois. Maintenant, je termine le live avec ce piano-voix. Mais pour revenir à ta question, oui, je crois qu’il y a une envie d’instruments. Ce morceau, c’est une ouverture vers le piano. J’en joue très mal. J’ai acheté un piano récemment et j’en joue beaucoup. J’apprends en composant. Je fais des petites pièces. J’ai envie de faire un disque de piano.

Au fait, il n’y a pas de violon dans ton disque !
Si !  Il y a du violon ! Mais tu ne l’entends pas ! C’est fait exprès ! Il y a même de la guitare ! En fait je ne vois pas l’intérêt de mettre du violon nu. C’est difficile le violon parce que c’est tout de suite connoté… Je n’ai pas envie de jouer du violon en instrument mélodique. Même si je l’ai fait sur « The Walk » au début. Je prends toujours des petits bouts. Il est toujours mis dans des effets ou des boucles. Sinon c’est pauvre. Ca ne sert à rien. Ou alors il faut assumer et écrire pour du violon. J’ai d’ailleurs cessé de le prendre sur scène. Je l’ai remplacé par un synthé. Je préfère. Mais j’ai découvert le piano ! C’est incroyable parce que j’ai toujours détesté le piano. Pour moi c’était un instrument trop bête. Appuyer sur une touche pour avoir une note… C’est un truc de violoniste ça ! Mais en écoutant Nils Frahm, ca m’a donné envie. Et donc j’ai acheté un piano que je suis en train de (dé)construire pour en travailler le son : je mets une sourdine… Je pense que je vais trafiquer un peu les cordes aussi.

Tu parlais d’un album. C’est en préparation ?
J’écris. J’ai envie que ce soit une entité, une histoire. Je ne sais pas si, sur un album on peut tenir un concept aussi fort que sur un EP.  Il y en a qui le font. Ce que j’écris en ce moment, ce sont des chansons d’amour. En tous cas le dernier morceau que j‘ai écrit c’est ça. Pour le moment je n’ai pas réfléchi à un concept. Il n’y a rien qui se soit précisé. Mais c’est hyper plaisant de travailler à cela. Il faut que ça vienne à moi. C’est la vie qui est comme ça : il y a des choses qui résonnent qui viennent jusqu’à nous. Pour Stargaze, j’ai pu chopé ce truc, ces sons de l’univers.  Lorsque je les ai trouvé, je les ai mis dans mon logiciel. J’ai commencé à les bidouiller. Et puis j’ai commencé à jouer dessus. C’était génial. Tu sais, je voulais être pilote quand j’étais petite. Il y a beaucoup de pilotes qui vont dans l’espace. Alors voilà, j’ai réalisé mon rêve. J’ai fait ce voyage.

Stargaze de Louise Roam
Textes et musiques: Louise Roam
Strictly Recordings
Crédit photo: Marie Magnin

Sortie: 25 Mai 2018
Concert le 6 juin 2018 au Glaz’art:
https://www.glazart.com

Facebook: https://fr-fr.facebook.com/louiseroam/
Site: http://louiseroam.com/
Deezer: https://www.deezer.com/fr/artist/7829752
C
lip Stargaze: https://www.youtube.com/watch?v=hjTQXEx00Dw

 

 

 

 

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