La tragédie des personnages 

S’il fallait ne retenir qu’une seule pièce qui traite de la mise en abîme du théâtre dans le théâtre et de l’importance des personnages, ce serait celle-là. Six personnages en quête d’auteur, un chef d’oeuvre du dramaturge italien Luigi Pirandello, écrite il y a presque un siècle ! Seulement voilà, le texte n’a pas pris une ride parce qu’il parle de ce qui restera éternellement essentiel au théâtre, les personnages et leur métamorphose, leur passage du texte de l’auteur à la mise en scène sur le plateau. 

Pirandello confronte dans cette oeuvre, la fiction et la réalité, par le biais d’une apparition quasi fantastique : six membres d’une famille débarque en pleine répétition d’une troupe et d’emblée se présentent comme étant des vrais « personnages » nés sous la plume d’un auteur qui les a abandonné ! De quoi surprendre et faire se railler les comédiens et le directeur du théâtre.

Mais une fois, cette déclaration faite, ils réussissent en racontant leur drame à convaincre le directeur de les intégrer à la troupe et de participer au spectacle. Ce dernier ébloui par leur récit qui sonne plus vrai que nature leur demande alors de jouer quelques scènes de leur drame dont les vrais comédiens vont devoir s’inspirer mais il ne se doute pas que l’issue finale risque de virer à la tragédie…

Emmanuel Demarcy-Mota s’empare donc de ce sujet passionnant pour tout metteur en scène et le revisite à sa manière. En restant parfaitement fidèle à la trame et au texte originaux, il réussit dans un premier temps à reproduite sur le plateau du Théâtre de la Ville, la vie d’un théâtre et d’une troupe. Comédiens et techniciens s’agitent alors comme autant d’abeilles sur un ruche pour préparer les répétitions. Le décor à la fois moderne qui pourrait préfigurer une mise en scène grandiose va finalement se révéler plus simple avec des estrades de jeu et un proscenium comme pour revenir à l’essence même du théâtre et ne mettre en lumière que le drame des personnages, les comédiens devenant presque secondaires.

Et alors par une mise en lumière très fine et une esthétique léchée, tout converge vers la tragédie de ces six personnages  qui comme des fantômes attachés à un lieu, n’en démordent pas et restent collés à la scène pour forcer le directeur à jouer leur drame. Ils sont dans le vrai, en quête d’identité scénique, voulant absolument survivre alors que les comédiens de la troupe, eux, en voulant les imiter, sonnent faux à leur côtés.

Ce contraste est très bien rendu ici par un jeu intense et subtil des comédiens tous investis dans leur rôle. Ils se fondent parfaitement dans une atmosphère de plus en plus pesante qui les amène, par une scénographie qui s’ouvre et s’éclate, vers le dénouement tragique. Et dans la tragédie, il y a toujours le rire non loin, celui de cette situation absurde et surréaliste que les comédiens et le directeur provoquent lorsqu’ils se rappellent à leur réalité.

Mais il est trop tard, les personnages ont quand même laissé leur empreinte indélébile et leurs ombres qui planent. Finalement, Pirandello (et Demarcy-Mota à travers lui) brouille les pistes et on ne saura jamais qui tire les fils de ce théâtre de pantins.

SIx personnages en quête d’auteur
De Pirandello
Traduction : François Regnault
Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota
Avec : Hugues Quester, Alain Libolt, Valérie Dashwood, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Walter N’Guyen, Céline Carrère, Charles-Roger Bour, Olivier Le Borgne (rôle repris par Philippe Demarle), Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Gérald Maillet, Pascal Vuillemot, Jauris Casanova Assistant à la mise en scène : Christophe Lemaire / Scénographie et lumière : Yves Collet / Musique : Jefferson Lembeye / Costumes : Corinne Baudelot / Maquillages : Catherine Nicolas
Jusqu’au 9 avril 2016 / Du mardi au samedi à 20h30

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet Paris 1er
Métro : Châtelet (ligne 1 ou 4)
Réservations : 01 42 74 22 77 ou www.theatredelaville-paris.com
Crédit Photo : Jean-Louis Fernandez