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OÙ EST MON CHANDAIL ISLANDAIS ?

Ivre ou survivre…

Knutte est à la veille de l’enterrement de son père ; Knutte a pour meilleure alliée, la gnôle ; Knutte se sent disséqué, jugé par sa famille, trahi par sa femme qui l’a trompé ; Knutte est seul. C’est cette solitude face à la cruauté d’un monde que l’auteur suédois Stig Dagerman dépeint avec justesse et lucidité dans cette nouvelle. Où est mon chandail islandais est écrite dans la période la plus foisonnante de son oeuvre, vers la  fin des années 40, alors qu’il est un auteur emblématique de son pays et quelques petites années avant qu’il ne se suicide à l’âge de 31 ans. C’est de ce personnage désespéré, de ce pauvre hère esseulé qui n’a que l’alcool pour consolation que la Nouvelle Compagnie, dirigée par Eram Sobhani, s’empare sur les planches du Théâtre de Belleville…

Et une heure durant, Eram Sobhani va incarner Knutte, le faire se débattre dans un soliloque suffocant où les évènements qu’il nous relate s’enchaînent comme autant de pièces d’un puzzle dramatique que le personnage tente farouchement de mettre en place. Autant le confesser d’emblée, Eram Sobhani est tout bonnement magistral dans ce rôle ; dès les premières instants du spectacle, il insuffle une puissance inouïe à son personnage. D’abord en le dessinant physiquement dans l’espace : en fond de scène, les pieds ancrés dans le sol, il ne bougera pas d’un iota durant ce qui pourrait s’apparenter dès lors à une véritable performance ! Seul le reste du corps gesticule, se balance au gré des frustrations et des coups de semonce comme ceux de sa soeur Lydia que Knutte encaisse de plus en plus violemment…

L’acteur qui joue parfaitement avec la masse virile de son propre corps, fait penser à un grand chêne incapable de se mouvoir, si accablé par son état qu’il en devient aussi fragile que le roseau, prisonnier à jamais en son endroit. Car effectivement, Knutte semble être au purgatoire, quelque part entre l’enfer des autres et le paradis artificiel de la gnôle… Les lumières subtiles et colorées, avec ces projecteurs qui encerclent l’acteur, mais aussi la dalle de miroirs renforcent sa solitude et le font apparaitre comme un animal pris dans les phares d’une voiture, condamné à nous conter sa tragédie.

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Une fois ce décor planté et la place de l’acteur admise, Eram Sobhani déploie alors toute l’intelligence de son jeu ; il ne joue pas l’ivrogne, il l’est. C’est très bluffant : les yeux mi-clos, le regard dans le vague, ne croisant jamais celui du spectateur, le haut du corps vacillant, on a l’impression qu’il est vraiment saoul ; ce n’est plus du sang qui coule dans ses veines mais bien de l’alcool ! Et par sa manière d’attraper le texte, de le muscler, de jouer avec le volume vocal, Eram Sobhani parvient brillamment à nous cracher à la figure les mots et les maux du malheureux Knutte.

Et peu à peu, ce personnage qui nous semblait éperdu, révèle son humanité, ouvre son âme, livre ses entrailles qui ne sont pas que baignées de gnôle mais pétries d’amour infini pour sa mère morte plus tôt et pour son père dont il ressasse les derniers instants. Sa quête de vérité sonne alors comme un désir irrépressible de réparation qui nous touche en plein coeur. L’ acteur fend la carapace de l’ivrogne viril pestiférant pour dévoiler une homme plus tendre qu’il n’y parait, extrêmement fragile, blessé par la vie et tentant simplement de survivre. On l’écoute alors, on le plaint sûrement, on compatit peut-être…

Eram Sobhani ne nous lâche jamais de la première à la dernière seconde ; nous tient délicieusement en haleine par la force d’un jeu habité et puissant, par une danse de l’ivresse fascinante et par un flot de paroles enivrantes et parfois drôles. Si le besoin de consolation de Knutte est impossible à rassasier, comme le dirait parfaitement Dagerman, notre besoin de théâtre est lui bel et bien satisfait. À ne surtout pas manquer.

Où est mon chandail islandais ?
Texte : Stig Dagerman
Mise en scène et interprétation : Eram Sobhani
Lumières : Julien Kosellek / Régie générale : Corto Tremorin / Diffusion : Nicolas Foray  / Production  : Louise Champiré
Production La nouvelle compagnie
Jusqu’au 29 septembre 2020
Le lundi à 19h15, le mardi à 21h15 et le dimanche à 20h

Théâtre de Belleville
16, Passage Piver, Paris 11!me
Métro : Goncourt / Belleville (L2 ou 11)
Réservations : 01 48 06 72 34 / theatredebelleville.com
Crédit photos : Romain Kosellek @ AKA-films

 

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