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SWANN S’INCLINA POLIMENT

Depuis le mois de septembre, le théâtre de Belleville accueille le nouveau spectacle de Nicolas Kerszenbaum « Swann s’inclina poliment » d’après « Un amour de Swann » de Marcel Proust. Dans cette adaptation le metteur en scène a choisi de mettre en exergue l’histoire d’amour d’Odette -une petite courtisane de salons- et de Swann, un riche homme d’affaire. Au travers de cette romance, c’est tout un portrait de la bourgeoisie de la belle époque qui est passé au crible ; une bourgeoisie qui veut sa part du gâteau et est prête à tout pour cela. Servi par trois comédiens magnifiques et comme toujours parfaitement dirigés, le spectacle nous invite à une réflexion sur notre époque, le tout sur fond d’une musique pop aux accents parfois eightie’s.

Swann, qui est ici figuré par le public, est un riche homme d’affaire, juif et fils de financier. Il fréquente le salon de Madame Verdurin (formidable Sabrina Baldassarra qui s’impose dans le rôle de cette maitresse femme), une bourgeoise mondaine dont l’ambition est de devenir aristocrate. Il y croise Elstir (Thomas Laroppe, comédien solaire, tout en sensibilité et feu contenu) un peintre au talent certain et Odette de Crécy (Marik Renner absolument épatante, qui insuffle à son personnage l’incandescence d’une Béatrice Dalle et la candeur d’une Marilyn Monroe) dont on ne sait pas grand si ce n’est que ses mœurs sont quelque peu légères. Swann tombe amoureux d’Odette et se prend de passion pour elle…pour le plus grand amusement de ses acolytes Mme Verdurin et Elstir qui y verront là l’occasion d’assouvir une frustration nourrie par l’humiliation de ne pas appartenir au même rang social que Swann et d’avoir très peu de chances d’y parvenir.

Nicolas Kerszenbaum qui signe l’adaptation ne se contente pas de livrer du Proust. Par l’incise de quelques joyeux anachronismes et de textes de l’économiste Thomas Piketty, il met en regard deux époques à l’orée d’un basculement social et économique : celle d’avant la première guerre mondiale et la nôtre. La lutte des classes qui est dépeinte trouve un écho au libéralisme décomplexé de notre époque et aux inégalités sociales de plus en plus grandes qui en découlent. Une seule solution pour survivre : trouver ce qui fait valeur, ce qui constitue une monnaie –sa propre monnaie- d’échange. Ce sera là l’obsession de nos trois personnages. La fascination du pouvoir, de ce qu’il représente ; ce qu’il revoie de médiocrité à celui qui ne le possède pas mais le désire, entraine ceux-ci dans une compromission qui les dépasse et ne produira, au bout du compte, que du vide. Les corps, l’esprit et l’âme : tout y passe. Sous couvert.
Le monde de Proust est un monde d’apparences où il faut garder la face et donner l’illusion, soit : un théâtre.
La mise en scène de Nicolas Kerszenbaum convoque de façon subtile le procédé de mise en abime grâce à une scénographie où sont disposés plusieurs praticables, sortes de micro-espaces scéniques dans l’espace scénique principal. Ainsi le jardin du salon Verdurin est un podium jonché d’orchidées en plastiques et d’animaux empaillés sur lequel Odette est livrée en pâture à Swann par la mère maquerelle Verdurin. Ici, tout est mort. Mais sans doute est-ce là la vitrine – à l’image de celles qu’on pourrait trouver dans les quartiers de prostitution aux Pays Bas et dans lesquelles sont exposées les travailleuses (l’éclairage de néons accentuant cette impression), d’un monde en train de vaciller ? Odette s’y dévêt, (ab)usant de ses charmes comme de la seule monnaie d’échange qu’elle ait trouvée pour avoir la possibilité de relancer les dés et ne pas passer son tour. A ce petit jeu cruel et cynique, seul l’amour reste la grande énigme: insaisissable, il échappe à toute convention, à toute raison. Il transcende même l’art, dont la gageure est pourtant d’arriver à nous faire saisir l’insaisissable, et nous ramène à l’essentiel : il en va de la vie comme d’une sonate jouée au piano : une alternance de mouvements et de rythmes qui reviennent en boucle, laissant entrevoir que nos misérables vies ne sont qu’un grain de poussière dans le grand tout.
A ne surtout pas manquer.

SWANN S’INCLINA POLIMENT d’après Marcel Proust
Adaptation et mise en scène : Nicolas Kerszenbaum
Avec Sabrina Baldassarra, Marik Renner et en alternance: Gautier Boxebeld ( du 11/10 au 5/11 et du 22/11 au 3/12) ou Thomas Laroppe ( du 13/09 au 8/10 et du 8/11 au 19/11)
Composition musicale : Guillaume Léglise
Musiciens : Guillaume Léglise et Jérôme castel
Création lumières : Nicolas Galland
Scénographie : Louise Sari

Du 13 septembre au 3 décembre 2017
Du mercredi au samedi à 21h15, le dimanche à 17h.
Durée : 1h30

Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du temple
75011 Paris
M° Goncourt ou Belleville
Réservations: 01 48 06 72 34

 

 

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